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de baisser en France dans la même proportion qu’au courant du siècle qui vient de finir, la natalité tomberait à 11 pour 1 000 aux environs de l’an 2 000, dans cent ans, et, dans deux cents ans, en 2100, à 0 pour 1 000. « Cela revient à dire que dans deux siècles les Français ne feront pas un seul enfant, » et M. J. Novicow n’a pas de peine à montrer l’absurdité de la conclusion. Aussi bien, dans ces pays eux-mêmes qu’on nous oppose, les naissances ont-elles passé : en Angleterre, de 36 pour 1 000 en 1872 à 30,5 en 1894 ; et en Allemagne, de 40,1 en 1872 à 35,7 en 1894. La question n’est donc pas uniquement ce qu’on appelle « démographique. » On a prétendu fonder jusqu’à la morale sur la démographie : M. J. Novicow prétend, lui, et à notre avis, il démontre que la démographie ne saurait même pas servir de fondement à nos spéculations sur l’expansion d’une « race » ou d’une « nationalité. » D’autres « facteurs » interviennent, dont il faut tenir compte. Il y en a d’économiques, il y en a de politiques, il y en a d’intellectuels. C’est sur ces derniers qu’il insiste ; et ce qu’il en dit constitue la plus belle apologie qu’on ait faite de notre langue, depuis les temps si lointains et cependant si proches de nous, où l’Académie de Berlin couronnait le Discours classique de Rivarol sur l’Universalité de la Langue française.

Car, d’abord, on n’en saurait concevoir, si je puis dire, de plus intrinsèque, ni qui explique la diffusion de notre langue par des raisons plus intérieures au génie de cette langue même. C’est une croyance assez répandue parmi nous que la grandeur politique de la France, préparée par Henri IV, accrue par les Richelieu et les Mazarin, les Turenne et les Condé, et portée enfin à son comble par Louis XIV, n’a pas été jadis tout à fait étrangère à l’expansion du français ; et, en effet, il semble que, de cette croyance, ou, si l’on veut, de ce préjugé, l’histoire ne serait pas embarrassée de fournir au moins ce qu’on appelle un commencement de preuves. Telle n’est pas cependant l’opinion de M. J. Novicow. « Rosbach, dit-il à ce propos, qui a été une défaite honteuse pour l’Etat français, n’a pas arrêté l’expansion de la nationalité française (entendez de la langue)… et après Rosbach comme avant, l’aristocratie germanique a continué à parler le français, à imiter les usages et les mœurs de Versailles et à se délecter à la lecture de Voltaire et de Rousseau. » C’est peut-être, lui répondrons-nous, que, pas plus en histoire qu’en physique, les grandes causes ne produisent tout de suite et n’épuisent