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VIII

Le maréchal, pendant ce temps, soumis étroitement au secret, ne sachant rien des phases de l’affaire, s’irritait fort de ces retards et s’en prenait à M. De Bézemaux, le seul qui pût entendre et transmettre ses plaintes : « Je le chargeai de dire à ces messieurs[1]l’étonnement où j’étais de ce qu’ils ne m’interrogeaient point, que je savais qu’on ne pouvait être retenu où j’étais que de deux manières : ou par la volonté du maître, ou par l’ordre de la justice ; que, quant à la première, je ne croyais pas avoir déplu au Roi et que ce n’était pas pour cela que j’étais à la Bastille ; et que, puisqu’il y avait décret contre moi, donné en justice, cette même justice voulait qu’on apportât plus de diligence à reconnaître ou mes crimes ou mon innocence. » S’échauffant par degrés, il se laissait aller à menacer ses juges, s’ils le laissaient languir davantage en prison, d’intenter contre eux une action en déni de justice. Bézemaux, embarrassé, ne savait que répondre. Luxembourg réclamait alors la permission d’écrire à M. De Louvois, « pour qu’il parlât au Roi de ces délais cruels ; » mais le ministre déclinait toute communication directe avec le prisonnier, et l’invitait à recourir à l’intermédiaire de Bézemaux. Le maréchal ressentit vivement cet outrage : « Je répliquai que j’étais accoutumé à écrire moi-même à M. De Louvois et que, s’il fallait que j’en perdisse l’habitude, je ne donnerais ce soin à nul autre. »

L’espoir l’abandonnait, quand, le samedi 2 mars, sans aucun avis préalable, on lui vint dire que les deux commissaires étaient « au pied de son degré, » demandant s’il était « en état de les recevoir. » — « Je laisse à penser, s’écrie-t-il, s’ils furent les bienvenus ! » La Reynie et Bezons entrèrent aussitôt dans la chambre. Ce furent d’abord « de grandes et profondes révérences, » des excuses d’avoir tant tardé, des assurances réitérées d’avoir conduit l’enquête avec autant de diligence que le comportait cette affaire. « Je ne crus pas leur en devoir de grands remerciemens… Mais, ce qui prouve ma bêtise, c’est que je les croyais encore gens de bien et d’honneur et que je pensais que, puisque je voulais me justifier devant des juges, ceux-là m’étaient aussi bons que d’autres. »

  1. MM. De La Reynie et de Bezons.