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d’empoisonneurs en France[1]. » Les vœux qu’elle formule à présent pour l’acquittement de Luxembourg ne sont pas moins sincères que ses précédens anathèmes. La présidente Leféron, cliente assidue de la Voisin, n’ayant été frappée que d’une condamnation légère[2] : « Mme de Dreux, s’exclame joyeusement la marquise, ne sera pas plus mal traitée, ni notre pauvre frère de la Bastille. Quel scandale pour rien ! »


IX

L’équité naturelle du Roi et son ferme bon sens hâtèrent le dénouement. Dès qu’il reconnut le danger de prolonger l’agitation et de perpétuer le scandale, il intima l’ordre à Louvois d’activer la marche des choses et de faire aboutir cet interminable débat. Le 1er mai, une note officieuse remise à La Reynie appelait son attention sur « la nécessité de faire travailler au procès du nommé Lesage[3]. » A quatre jours de là, nouvelle sommation à Boucherat : « Sa Majesté, lui dit Louvois, m’a fait l’honneur de me commander de vous faire savoir que son intention est que la Chambre juge M. De Luxembourg aussitôt après le jugement de Bonnard et de Botot… Sa Majesté désire qu’après l’affaire de M. De Luxembourg finie, la Chambre diffère de s’assembler jusqu’à ce que Sa Majesté vous donne les autres ordres qu’elle jugera à propos. » L’effet fut immédiat, comme le constate deux jours après l’une des gazettes du temps : « On travaille à force à l’affaire de M. De Luxembourg, et les juges après cela prendront six mois de vacances. »., Effectivement, dès le 5 mai, les commissaires de l’Arsenal, se transportant à la Bastille, reprenaient la série des interrogatoires. Dans cette séance, et pour la première fois, il fut enfin question du pouvoir remis à Bonnard, seule base matérielle du procès[4]. On sortit la pièce du dossier ; puis, au bout de la table, « à quatre pas » de l’accusé, le greffier la prit à la main, la tourna vers le maréchal. Les commissaires lui demandèrent s’il la reconnaissait. Luxembourg, malgré la distance, put distinguer

  1. 2 juin 1680. Édition Monmerqué.
  2. Elle fut condamnée, le 7 avril, au bannissement hors de Paris, et à 1 500 livres d’amende.
  3. Archives de la Bastille.
  4. Je suis, pour cette scène, le récit fait par Luxembourg, avec les détails qu’y ajoute la note de Mme de Ville-Evrard.