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doute pas que je suis d’une maison où l’on n’achète pas les alliances par des crimes… et que, quand Mathieu de Montmorency épousa une reine de France[1], mère d’un roi mineur, il ne s’est pas donné au diable pour conclure le mariage, puisque la chose se fit par une résolution des États Généraux, qui la déclarèrent nécessaire pour acquérir au Roi les services des seigneurs de Montmorency[2]. »

Ce sont là, si l’on veut, des objections de sentiment ; mais il existe un indice plus certain de la fourberie de Lesage. La scène chez Mme du Fontet remonte aux premiers jours de l’année 1676,) comme en témoigne sans réplique la présence du marquis de La Vallière[3], qui mourut quelques mois plus tard. Or ce fut au milieu d’août de cette même année 1676 qu’eut lieu l’affaire de Philipsbourg, qu’avait citée étourdiment Lesage. Comment Luxembourg eût-il pu demander en janvier la revanche d’un échec qu’il essuya six mois après ? C’est la preuve matérielle du mensonge de l’accusation ; c’est l’imposture prise en flagrant délit ; et l’on a peine à s’expliquer que les deux commissaires n’aient point soupçonné dès l’abord, à cette grossière invraisemblance, la fable inventée après coup pour les besoins de la cause.

Au surplus, Lesage se chargea de démontrer lui-même l’inanité de ses allégations. Comme la confrontation approchait de son terme, le magicien, pour corser le récit, crut devoir ajouter que le prêtre Davot assistait Luxembourg dans ses conjurations et dans ses pactes sacrilèges. Sur démenti de l’accusé, il cita des détails : Davot, dit-il, avait « plus de soixante fois » rendu visite au maréchal ; ce dernier, en cas de succès, lui avait promis « cent mille francs, » sur lesquels il avait « versé cent louis d’avance… » Lesage, ainsi lancé, se préparait à continuer, quand les magistrats le firent taire et donnèrent ordre qu’on l’emmenât ; et comme Luxembourg, irrité, réclamait avec insistance qu’on fit venir sur-le-champ ledit prêtre, « M. De Bezons se mit à sourire, » en fixant son collègue d’un regard interrogateur. La Reynie répondit par un signe d’assentiment ; sur quoi Bezons

  1. Mathieu Ier, seigneur de Montmorency, épousa en secondes noces Alix de Savoie, reine de France, veuve de Louis VI le Gros. Ce mariage eut lieu en 1138.
  2. « Ce fut même par honnêteté, ajoute le maréchal, que je mis le mot de services, car je crois que dans la déclaration il y avait celui de protection. »
  3. Cette présence est attestée notamment par la lettre de Feuquières, du 16 mars 1680, par l’interrogatoire du même, du 1er février, par celui de Mme du Fontet du 28 janvier, etc., etc. Archives de la Bastille.