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Bonnard fut jugé le 8 mai ; il renouvela tous ses aveux et fit paraître un sincère repentir, « Il a justifié son maître, écrit Mme de Sévigné[1] ; il a fait amende honorable. Tout ce qu’on peut dire là-dessus, c’est que c’est un très bon ou un très mauvais valet ! » Il n’en fut pas moins condamné aux galères à perpétuité[2], mis séance tenante « à la chaîne, » puis embarqué dans la rade de Marseille, où il rama[3], le restant de ses jours, sur les vaisseaux du Roi.

Le terrain ainsi déblayé, restait l’accusé principal. La séance de la Chambre ardente où serait rendu le jugement fut fixée au 14 mai. Deux jours avant cette échéance, Louis XIV avertit lui-même le gouverneur de la Bastille : « M. De Bézemaux, écrivit-il[4], la Chambre royale, qui se tient à l’Arsenal, pouvant avoir besoin de mon cousin le duc de Luxembourg, je vous fais cette lettre pour vous dire qu’en ce cas je désire que vous l’accompagniez, avec quelques-uns des officiers de votre garnison, jusqu’à la Chambre, et qu’ensuite vous le rameniez à mon château de la Bastille. » Quelque soin qu’on eût pris de la tenir secrète, la nouvelle s’était répandue. Condé, prévenu à Chantilly, accourait à Paris et passait tour à tour « chez chacun des juges de la Chambre, » pour leur recommander la cause de son parent, démarche qui, dans l’occurrence, pouvait paraître superflue, mais dictée par l’usage et la civilité du temps.


Enfin se leva l’aube du jour si longtemps attendu. Le mardi 14, de bon matin, le carrosse de Bézemaux vint, dans la cour de la Bastille, quérir le maréchal. L’accusé y monta, suivi du gouverneur ; un petit groupe d’officiers à cheval entoura la voiture, et l’on partit pour l’Arsenal. En approchant, on vit, massée à la porte du tribunal, une nombreuse foule de gens qui attendaient le prisonnier : c’étaient ses parens, ses amis, les alliés à tous les degrés de la maison de Montmorency. M. le Prince était au premier rang, avec son fils, le duc d’Enghien. Luxembourg, en passant près d’eux, les salua de la tête, mais ne s’arrêta point et continua son chemin en silence, afin, dit-il plus tard, qu’on ne pût l’accuser, « d’avoir mendié ni les conseils, ni l’appui de

  1. Lettre du 17 mai 1680. Édition Monmerqué.
  2. Archives de la Préfecture de Police.
  3. Son complice Botot eut à subir neuf ans de la même peine.
  4. Lettre du 12 mai. Archives de la Bastille.