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pointillisme, tous ces nouveaux venus auxquels furent promis par les prophètes de la littérature tant de brillantes destinées, s’en sont allés sans avoir fourni au patrimoine de l’art l’égal du portrait de M. Bertin d’Ingres ou du Marais dans les Landes de Rousseau.

D’autres tendances, au contraire, nées à la même époque, mais sans bruit, sans système, et à peine conscientes, d’un état d’esprit général et d’une pareille curiosité, se prolongent. La plus générale est l’indifférence pour les spectacles historiques, les mouvemens de foule et de guerre, le mélodrame que longtemps on appela l’histoire des nations. Pas un instant depuis quinze ans, cette indifférence n’a cessé de grandir. Il n’est pas, dans les deux Salons, un seul tableau de bataille digne d’attention. L’histoire contemporaine, ce qu’on appelle « les événemens, » est de moins en moins perceptible dans les belles œuvres de nos peintres ou de nos sculpteurs. Le miroir de l’art n’en saisit plus l’image. Où a-t-on vu l’assassinat de l’impératrice Elisabeth, par exemple, ou encore celui du roi d’Italie ? Où les drames de la guerre du Transvaal et de la défense des Légations ? Grâce à quel maître et dans quel chef-d’œuvre sont mémorables les fêtes des couronnemens, les rencontres des souverains ou les grands orages parlementaires qui souvent agitèrent toute la nation et parfois le monde tout entier ? — Non, rien de tout cela, mais un père rentrant du travail, à genoux, rit à son enfant, près d’un baquet, et voilà un tableau pour M. Buland, — ou bien des pêcheurs remontent du port, des laboureurs s’en reviennent, le soir, leur journée faite ; une sœur de Saint-Vincent-de-Paul visite des malades, de vieux ménages s’en vont à petits pas sur le chemin désormais sans but de leur vie, tout ce qu’indiquent des titres comme ceux-ci : Retour des champs, de M. Suzos-Coté, Soir paisible de M. Chigot, Fin de journée de M. Girardon, la Sortie du Communal de M. Debat-Ponsan, les Ramendeuses de Bretagne, de Mme Guyon, les Dentellières de Malines de M. Struys, — voilà ce qui suffit à toucher et à retenir de plus en plus les âmes contemporaines. Même moins encore : un canal, un vieux pont où nul ne passe, une vieille porte où nul ne s’accote, un bout de rue déserte, une boutique non achalandée où vieillissent et moisissent d’incertaines denrées dont le boutiquier lui-même doit avoir perdu le souvenir. Et M. Le Sidaner ou M. Paul Buffet trouvent que c’est assez pour nous retenir. Ces évocateurs subtils choisissent l’heure où la Nature se resserre et se referme, comme