mauvaise volonté universelle. Ils ont compris toute la vanité des négociations qu’on leur proposait. Et au lieu de faire d’inutiles concessions de principes, ils se sont enfermés dans l’intransigeance de leurs doctrines. C’était le parti le plus digne. Il y a en France 5 ou 6 000 distillateurs, fabricans d’apéritifs et environ 750 000 bouilleurs de cru. On y compte 822 000 débitans, dont un grand nombre trouvent auprès des gros distillateurs le crédit et l’appui nécessaires pour leur commerce. D’autre part on prétend qu’un tiers des Français a pris l’habitude de fréquenter les cafés et les bars et d’y consommer les apéritifs, les vins et les alcools aromatisés. Comment imaginer qu’un gouvernement d’opinion, et des députés dans l’étroite dépendance de leurs mandans, puissent s’exposer au mécontentement d’une telle masse d’électeurs ?
Quant à l’Etat, il a une raison de plus de ne rien entreprendre contre la consommation de l’alcool. C’est que l’alcool est la ressource de ses budgets. Établit-on un dégrèvement sur quelque article, vite on demande à la surtaxe de l’alcool une plus-value compensatrice. « Je plains le ministre des Finances, disait un orateur du Sénat, car il me semble que le moraliste et le financier doivent se livrer, dans son âme, un combat véritablement tumultueux. L’avenir nous dira quel est celui des deux qui sortira le plus meurtri de la lutte. — N’en doutez pas, répondit le rapporteur de la Commission : ce sera le moraliste. » — Aucun doute, en effet, n’était possible. A la vérité, sous la pression de cette puissance qui tout de même a un écho dans toutes les âmes, l’Idée morale, le gouvernement et la Chambre avaient résolu de faire quelque chose contre le fléau. Sans trop nuire à l’alcool sacro-saint, on pouvait mettre quelques entraves à la consommation des absinthes. Et c’est ce que l’on se proposait de faire au moyen du fameux article 13, en interdisant « la fabrication, la circulation et la vente des essences dangereuses. »
On entend bien ces mots : il s’agit des essences seulement. Il n’était pas question de frapper la boisson elle-même formée par ces essences. On aurait seulement gêné l’un des modes suivant lesquels on la prépare. Il y a, en effet, deux manières de préparer l’absinthe. La première consiste à mettre dans l’alambic, en une fois, la macération dans l’alcool des sommités d’absinthe, des graines d’anis, de badiane et de coriandre, et à distiller On