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tableau est le même partout où nous colonisons. Le mercanti, crédité par le distillateur, suit invariablement les colonnes de nos soldats ; dès que ceux-ci s’arrêtent, il s’installe. Le premier commerçant établi est le débitant d’alcool et d’absinthe.

Il semble que le goût de l’absinthe soit peut-être un peu moins répandu dans le monde des ouvriers que dans celui des employés et des petits bourgeois. C’est une boisson relativement chère, qui ne se boit, une fois versée, qu’avec une lenteur et des précautions rituelles, un peu en dehors des habitudes de brusquerie du travailleur manuel. L’existence normale de beaucoup de gens comporte, dans l’état actuel des mœurs et des habitudes, une station ou plusieurs stations quotidiennes dans les cafés de tout ordre. Ces établissemens sont à la fois des lieux de réunion, de conversation et de délassement, où l’on joue et où l’on fume en s’alcoolisant lentement. Ce sont aussi des rendez-vous d’affaires pour les commerçans. Le fonctionnaire y passe un moment après cinq heures, entre la fermeture du bureau et le moment du dîner : il y prend un apéritif en jouant ou causant avec des camarades et des collègues. Les habitudes sont les mêmes pour l’employé. De bureau ou de commerce. Célibataire, il n’a pas d’autre occasion de satisfaire son besoin de sociabilité, de se retrouver avec ses semblables, d’échanger avec eux quelques idées ou quelques observations. Marié, ses conditions d’existence sont trop restreintes et son foyer offre trop peu d’attraits pour qu’il y convie ses connaissances. Pour la même raison, les relations de famille à famille sont peu développées. De là, fréquentation du café, de la taverne, du bar, qui n’offrent l’hospitalité que sous la condition qu’on y consomme des spiritueux ou des apéritifs, suivant l’heure. Telle est, en quelque sorte, la condition psychologique de l’alcoolisme et de l’absinthisme. — En outre le distillateur, en mêlant des aromates et des parfums aux boissons, les rend agréables au goût et ajoute à l’alcool des séductions qui asservissent la sensualité du buveur. Ainsi s’explique la faveur et la diffusion croissante de ces apéritifs.


III

Les essences qui s’adressent au goût, ne sont pas plus simples que celles qui s’adressent à l’odorat. Ce ne sont point, en général, des principes immédiats définis : ce sont des