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importante est celle de la part qui incombe à l’alcool dans la production des effets physiologiques ou des désordres provoqués par l’usage tantôt modéré tantôt excessif de la liqueur d’absinthe.

C’est un point sur lequel les médecins ont été longtemps divisés. Il y a toute une école qui prétend que les effets des boissons alcooliques dérivent de l’alcool lui-même et non pas des aromates qui les parfument. Sans nier les propriétés spécifiques énergiques de ces substances aromatiques, ils font observer qu’elles sont, par rapport à l’alcool qui leur sert d’excipient, en quantité infime, et que l’indigence de l’aromate est telle qu’elle ne peut être compensée par l’énergie de son action. Cette opinion est passée, chez un certain nombre de médecins, à l’état d’axiome ou de postulat. Un verre de liqueur d’absinthe de 30 centimètres cubes contient de 14 à 24 centimètres cubes d’alcool pur (suivant qu’il s’agit de la qualité ordinaire ou de la qualité surfine dite suisse) ; la quantité totale des essences dans la plus riche de ces liqueurs n’atteint pas 85 milligrammes et celle de l’essence d’absinthe proprement dite 10 milligrammes, c’est-à-dire environ une trentaine de gouttes. Or, les expériences directes ont montré que la toxicité de 24 centimètres cubes d’alcool pur était incomparablement plus élevée que celle de 30 gouttes d’essence. C’est là la conclusion de toutes les expériences de toxicité.

Les recherches expérimentales mettent donc en évidence le caractère dangereux de l’alcool le plus pur. A la vérité, elles manifestent aussi la qualité toxique des substances étrangères qui y sont mêlées soit à dessein (arômes divers), soit par insuffisance de rectification (impuretés) ; mais à la dose où ces substances secondaires sont surajoutées, leur influence est pratiquement nulle.

Cette conclusion semble à peu près mise hors de conteste par les expériences de comparaison du degré de toxicité des alcools bruts avec celui des alcools rectifiés. Il fut un temps, et c’était au début de ces études toxicologiques, où l’on professait universellement l’opinion que les alcools d’industrie possédaient, comme poisons, une puissance infiniment supérieure à celle de l’alcool éthylique rectifié et pur. On se contente de dire maintenant que leur toxicité est seulement un peu plus grande, et que la différence est, pratiquement, insensible. MM. Dujardin-Beaumetz et Audigé, en 1879, ont constaté qu’il fallait injecter sous