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par la force ou par la diplomatie, soit la possession, soit au moins la neutralité des rivages qui avoisinent le rocher, c’est-à-dire le pourtour de la baie d’Algésiras et les côtes marocaines du détroit. De là l’intérêt que le gouvernement de Londres prend à tout ce qui touche l’Espagne ; de là les préparatifs faits à Gibraltar pour maîtriser au besoin les hauteurs qui commandent la baie ; de là, enfin, l’activité de la politique anglaise au Maroc. Ainsi, le fait que Gibraltar ne peut redevenir véritablement redoutable et fermer le détroit que s’il s’entoure, sur la côte espagnole où sur celle du Maroc, d’autres forteresses accessoires, crée, dans la politique générale du monde, une complication et un danger.

Que de puissans moyens d’action soient prêts à Gibraltar, pour s’emparer rapidement de la Sierra Carbonera et des hauteurs qui entourent Algésiras, que les plans soient depuis longtemps arrêtés, c’est ce que l’on soupçonnait et ce dont M. Gibson Bowles, par ses questions indiscrètes, nous a rendus certains. La guerre, si elle venait à éclater entre l’Angleterre et une ou plusieurs autres puissances maritimes, serait une lutte décisive et si terrible que, dans l’immense conflit, l’hostilité de l’Espagne ne balancerait pas l’avantage d’être, à Gibraltar, en pleine sécurité. La topographie des environs d’Algésiras favorise d’ailleurs singulièrement les projets de l’état-major britannique et explique que l’on s’y soit arrêté, en dépit des difficultés diplomatiques qui en pourraient résulter : un vaste cirque de montagnes s’étend tout autour de la baie et la sépare de l’Andalousie ; il n’existe, pour parvenir à Algésiras, qu’une seule voie ferrée et une seule grande route. Le chemin de fer, de Bobadilla, où il se soude aux lignes andalouses, franchit les défilés de la Sierra de Ronda ; rien de plus facile, dans ce pays accidenté, le long de cette voie coupée de ponts et de tunnels, que d’interrompre la circulation ; or, cette ligne appartient à une compagnie anglaise. La route, d’Algésiras se dirige vers l’ouest, franchit, entre deux montagnes abruptes, le défilé de Guadalmecin, aboutit à Tarifa et de là à Cadix. En dehors de ces deux voies de communication, il n’existe, dans la Sierra, que des sentiers muletiers, fréquentés par les contrebandiers, mais impraticables à une armée. Les routes coupées ou dominées par des redoutes, Algésiras se trouverait complètement isolée du reste de l’Espagne ; avec 25 ou 30 000 hommes et des canons pour occuper les crêtes et les avenues de la position, les Anglais pourraient créer là, en quelques