philosophe qui ne vivait qu’en lui-même sans que les événemens extérieurs pussent l’atteindre ou le toucher. Religion sceptique, sans enthousiasme et sans ardeur, qui convient à ce pays où il est si aisé de se laisser vivre, et qui ne saurait suffire à nos contrées du Nord où la lutte est si âpre, où il faut tant travailler pour son bonheur ou son pain.
16 novembre. — Nous avons résolu, deux de mes compagnons et moi, de faire l’ascension du pic d’Adam et de redescendre de là sur Ratnapura. On nous dit que c’est impossible. Nous verrons bien. Munis seulement des bagages strictement nécessaires nous prenons une voiture à Hatton pour nous rendre à un Rest-House qui se trouve au pied du pic. Le trajet est joli, sur une petite route tortueuse, parmi les éternelles plantations de thé. Nos chevaux vont uniformément au galop dans les descentes les plus raides comme dans les côtes les plus dures. Un coureur nous accompagne, accroché à la voiture. Dans les instans difficiles, il se jette à la tête des chevaux et les bouscule de toutes ses forces pour les empêcher de sauter dans le précipice et nous avec eux. C’est une délicate attention dont nous lui sommes reconnaissans.
Nous arrivons pour déjeuner au pied du pic. Le temps est magnifique et la montagne dresse dans le ciel bleu son énorme ; piton conique. La légende bouddhiste ainsi que la légende mahométane veut que Ceylan ait été le paradis terrestre où nos premiers parens, — selon la naïve expression d’une pancarte du Rest-House, — lived and loved, vécurent et aimèrent. Chassé, après la faute, des lieux où il avait été heureux, Adam s’arrêta sur ce sommet pour considérer une dernière fois le paradis perdu. Et sur ce roc abrupt d’où il dominait l’île entière, le pied de notre premier père laissa une trace profonde que les peuples vénèrent aujourd’hui ; puis tristement il gagna l’Inde par la suite d’écueils qu’on appelle le pont d’Adam. « O fugitives joies de l’Eden chèrement payées par tant de malheurs (Milton). »
J’ai vu l’empreinte du pied ancestral. Un petit toit la recouvre et la protège des intempéries. Elle m’a donné une grande idée de ce que devait être la taille de notre aïeul. Je pourrais sans difficulté m’étendre dans son soulier !
A certaines époques de l’année, des milliers de pèlerins, bouddhistes de l’Inde, de la Chine et du Thibet, mahométans malais, arabes ou persans, grimpent sur cette montagne pour y