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vieille église. Une inscription ancienne y constate que c’est là que fut enterré saint François Xavier avant le transport de son corps à Goa. Nous faisons une promenade en pousse-pousse dans la ville et les environs. La campagne, couverte de cocotiers et d’aréquiers, sous lesquels des cases s’abritent, a beaucoup de rapports avec le voisinage de Colombo. La ville est une ville chinoise sans caractère, rappelant, en plus petit, Penang ou Singapore.


SINGAPORE

Quand, sortant du dédale d’îles verdoyantes qui parsèment le canal de Malacca, on pénètre dans l’immense rade de Singapore, on est saisi, si le vent vient de terre, par une odeur écœurante et bizarre que l’on respire avec cette force pour la première fois. C’est un mélange de musc, d’opium, d’encens, de saleté et de sueur, c’est l’odeur chinoise, en un mot, qui semble monter de cette grande ville, de cette agglomération de 200 000 Célestes et se répand dans l’air, dans la campagne et sur la mer. Et cela est, en quelque sorte, le symbole de l’omnipotence chinoise sur cette terre anglaise où les Européens, cantonnés dans une petite ville spéciale, sont entourés de tous côtés par la cité jaune qui les surveille et les étreint. Quand on a quelque peu causé avec des gens informés, on apprend que cette puissance des Chinois n’est pas seulement une apparence, mais que le commerce, l’industrie, les capitaux sont entre leurs mains. Et ils ont conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils peuvent. Les coolies des pousse-pousse, les boys des hôtels, les bateliers du port sont insolens et querelleurs, toujours prêts à se réclamer contre vous de vos propres lois. Singapore, comme Hong-Kong et Shangaï, est une des grandes écoles où nous dressons la race jaune et lui forgeons les armes dont elle se servira quelque jour contre nous.

En attendant, c’est une colonie prospère et un des ports libres les plus importans de l’Extrême-Orient.

Dès qu’on sort de la ville, soit pour se rendre au jardin botanique, soit pour errer sur les routes bien entretenues de l’île, on rencontre la végétation tropicale dans toute sa splendeur et sa vitalité. Situé presque sous l’équateur, Singapore n’a pas les saisons tranchées qui caractérisent les contrées plus au