ne les trouve alors un peu moins claires qu’elles ne l’étaient auparavant.
On ne reprochera d’ailleurs pas à M. Mendès de s’être trop jalousement cantonné dans l’époque moderne et dans le coin qui lui est familier. Soucieux de retracer dans son ensemble le développement de notre poésie, il remonte dans le passé aussi loin qu’il est possible, c’est-à-dire jusqu’à la Chanson de Roland et même à la Cantilène de Sainte Eulalie. C’est pour lui le moyen d’exposer une théorie qu’il croit neuve et dont la hardiesse ne laisse pas de lui causer quelque effroi. Il est d’avis que, notre tradition nationale ayant été brusquement interrompue par la Renaissance, il a fallu attendre la révolution faite au nom de Shakspeare, de Byron et de Gœthe pour assister à l’avènement d’une littérature vraiment française. C’est le vieux paradoxe jadis soutenu par Mme de Staël, et, depuis, tant de fois réfuté. Il est sans doute superflu de le discuter, s’il est assez généralement admis que, dans toute l’histoire de notre littérature, il n’est pas de période plus purement française que celle qui va de 1660 à 1680, et si Molière, Racine, Boileau, La Fontaine ont donné de l’esprit français l’image la plus complète et la moins mêlée de tout alliage étranger. Mais pour M. Mendès, comme la France date de 1789, la poésie française date de 1830 : nous la devons au romantisme. Et le romantisme emplit à lui seul tout le siècle. Et Victor Hugo est à lui seul tout le romantisme. Et l’œuvre de Victor Hugo contient à elle seule toute la poésie française, tout son passé, tout son présent, tout son avenir.
Je ne crois pas qu’on eût encore poussé l’hugolâtrie aussi loin ; c’est un des traits par où le livre de M. Mendès atteint le plus sûrement à l’originalité. « Victor Hugo sera successivement le Mirabeau, le Vergniaud de la Révolution littéraire ; il deviendra enfin le Danton de l’ode et le Napoléon de l’épopée. C’est pourquoi la question rigoureusement temporelle de son éclat premier est, en somme, dénuée d’importance. Il est bien sûr qu’il a instauré le lyrisme français en sa magnificence unanime et parfaite. Il est bien certain qu’il a créé le drame moderne qui n’a pas encore cessé d’être notre drame. Mais si n’était vrai ni cela ni ceci, il n’importerait guère. Il est si grand dans ce siècle qu’il le tient, le domine, le possède tout entier ; du point où nous sommes, c’est lui que nous voyons luire au commencement et qui, à la fin, rayonne encore ; tel est l’éblouissement de sa lumière que nous ne pouvons concevoir d’autre aurore, ni admettre d’autre couchant. C’est ainsi qu’il semble que le soleil resplendisse déjà,