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créateur ou le premier chef de l’école dite décadente ou symboliste. Pourtant il faut bien reconnaître que le premier il s’avisa de certaines innovations où s’accorderont bientôt quelques-uns et non les moindres de la génération poétique presque récente encore. » La tentative de poésie nouvelle fut-elle donc une invention péruvienne, ou belge, ou américaine ? Toujours est-il qu’il ne semble à M. Mendès ni qu’elle fût viable, ni qu’elle eût aucune espèce de fondement. Ou bien les symbolistes prenaient le mot de symbole dans le sens qu’il a toujours eu et alors ils n’inventaient rien. Ou bien ils lui prêtaient une acception nouvelle et ils n’ont pas su exécuter ce qu’ils avaient entrevu. Pour ce qui est de leurs réformes métriques, elles allaient directement contre la tradition et elles constituaient une manière d’attentat contre le seul système de versification qu’une longue habitude autorise dans notre pays. Après la tentative symboliste comme avant, la poésie n’a autre chose à faire qu’à reprendre la grande voie romantique qu’elle n’aurait jamais dû quitter et dont, au surplus, elle avait, au cours du siècle, à peine dévié.

On voit maintenant pourquoi l’auteur du Rapport, au lieu d’avoir aidé à élucider l’histoire du mouvement poétique pendant la seconde moitié du siècle, nous semble avoir contribué à fausser l’idée qu’on peut se faire du développement de la poésie à travers le siècle tout entier. Que le romantisme ait donné l’essor à notre poésie lyrique, cela ne fait pas question ; et de même il est hors de doute que chez les plus déterminés des réalistes, toute trace de l’influence romantique n’a jamais disparu. Que Victor Hugo, par la puissance de son génie et par la fécondité de sa production, domine toute la poésie du siècle, et qu’en quelque manière tous les écrivains en vers lui soient redevables, nul ne songe à le contester. Mais l’œuvre même de Victor Hugo est traversée de souffles divers. Mais au milieu du XIXe siècle, le courant romantique est interrompu. Mais, dans les dernières années du siècle, la ligne se brise encore une fois. C’est ce qu’il eût fallu mettre en lumière, et, quoi que puisse penser d’ailleurs l’auteur du Coffret brisé de la méthode suivie par le rédacteur du Rapport sur le mouvement poétique, c’est ce à quoi continueront de tâcher la critique et l’histoire en dépit de la critique officielle et de l’histoire d’État.


RENE DOUMIC.