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il s’est contenté d’exécuter une fanfare sonore, en ajoutant qu’un débat digne du sujet aurait lieu prochainement et qu’il donnerait alors tous ses argumens.

Il fera bien de le faire, car l’opinion lui est pour le moment bien défavorable. M. Balfour ayant annoncé que ce n’était pas la Chambre actuelle qui aurait à la résoudre, on a compris que la question économique avait été choisie par le gouvernement pour servir de plate-forme aux élections futures, et peut-être prochaines. Il s’en faut de beaucoup que le parti conservateur ait souri à cette perspective. Des dissidences se sont aussitôt produites dans la majorité ministérielle et dans le ministère lui-même. Les libéraux, au contraire, se sont déclarés enchantés. Ils acceptent avec empressement le combat sur le terrain où M. Chamberlain le porte ; ils le commencent déjà. Sir Henry Campbell Bannerman a prononcé un important discours pour combattre la révolution douanière de M. Chamberlain. Quant à lord Rosebery, fidèle à ses habitudes, il a pris une situation intermédiaire entre tous les systèmes, et ne s’est d’abord prononcé pour aucun : puis, il a flairé le vent et est revenu au libre-échange. C’est dans le parti conservateur surtout que M. Chamberlain semble avoir introduit la discorde. Nous ne savons pas si son union douanière réussirait, dans le cas où elle prévaudrait, à fortifier l’unité de l’empire ; ce qui est sûr, c’est que l’annonce seule a suffi à désagréger le parti ministériel. M. Chamberlain a trouvé d’abord plus d’adhésions que nous ne l’aurions cru. Il y a partout des intérêts qui souffrent et croient qu’ils souffriraient moins sous le régime protectionniste. Dans le désarroi du premier moment, beaucoup ont obéi à des impressions de ce genre. Mais, de plus en plus, on revient comme par une pente naturelle aux vieilles idées et traditions. Enfin, le 9 juin, M. Ritchie, chancelier de l’Échiquier, s’est prononcé, en pleine séance de la Chambre, contre une politique qu’il jugeait « préjudiciable aux véritables intérêts de la mère patrie et des colonies. » Il a ajouté que les membres du Conseil qui s’étaient montrés enclins à un changement de politique avaient émis des opinions personnelles qui n’engageaient pas le gouvernement, et qu’au surplus ils s’étaient bornés à dire que la question méritait d’être étudiée. M. Balfour a balbutié des explications analogues, et M. Chamberlain s’est tu. On attendait ces grands et puissans argumens qu’il avait annoncés : il ne les a pas produits. Harcelé par les orateurs libéraux, et notamment par M. Asquith, qui le sommaient de s’expliquer, il est resté à son banc l’œil fixe et les lèvres serrées. Évidemment le gouvernement battait