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question, pourquoi n’en déduit-il pas toutes les conséquences ? Il se trouverait alors dans une certaine mesure d’accord avec M. l’abbé Lemire, qui, dans son projet de loi sur les retraites ouvrières, fait découler le principe de l’obligation du vieux précepte du Décalogue :


Tes père et mère honoreras
Afin de vivre longuement.


Ce précepte, dit-il, « n’est pas seulement un impératif moral, il est aussi une loi sociale. Il établit ce qu’il faut faire, et il indique ce qui sera, ce qui doit être, ce qui résultera de son observation dans la communauté humaine. On vivra longuement, c’est-à-dire que, par une sorte de compensation et de réciprocité, on ne sera point privé de ce qui prolonge la vie, si on a honoré son père et sa mère. Par « honorer » il faut entendre autre chose que de donner de vains témoignages de respect : il faut entendre ce qui a toujours été compris dans l’hommage familial, à savoir la considération pour la dignité et le tribut pour le besoin. » Alors, en effet, la question devient tout autre. L’organisation de la retraite n’est plus un acte d’égoïsme de la part de la société, c’est l’exécution d’un devoir familial. On doit travailler pour les vieux, en vertu du précepte du Décalogue ; ceci est net et précis. Ainsi on aura, vis-à-vis de ses descendans, une créance semblable à celle qu’on aura acquittée vis-à-vis de ses ascendans. Arriverait-on à remanier notre système mutualiste, de façon à y introduire une application plus ou moins étendue d’un tel principe ? Cela n’est pas douteux, si, comme nous l’indiquons plus loin, on organise les sociétés de secours mutuels sur la base professionnelle, la profession devant être considérée comme une extension plus ou moins largement comprise de la famille.

Quel que soit le principe sur lequel on s’appuie pour conclure à l’utilité ou à la nécessité d’organiser les retraites dans les sociétés de secours mutuels, il est certain qu’aujourd’hui, pour arriver à ce but, le concours des membres honoraires est matériellement indispensable. Mais cette institution prête le flanc à la critique de l’école collectiviste, ennemie, dit-elle, de l’aumône, « qui humilie celui qui la reçoit. » Nous touchons là à ce qui pourrait bien être un jour une pierre d’achoppement pour la législation actuelle sur les sociétés de secours mutuels.