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de la richesse, des grosses entreprises, des affaires. Personne qui ne vende quelque chose, ne soit agent de quelque compagnie, ne « fasse de l’argent, » comme disent les Américains. Les Chinois ont bientôt profité de ces leçons et de ces exemples. Ils se sont assimilé, avec une rare intelligence et des dispositions naturelles incontestables, tout ce qu’ils ont vu faire aux autres. Bien vite ils y sont passés maîtres ; et, à l’heure actuelle, je crois qu’il serait difficile de trouver à Hong-Kong une entreprise, une société, une banque, qui ne comporte une forte proportion de capitaux chinois. Ceux qui ne sont pas encore arrivés, ceux qui ne « valent » pas des centaines de mille ou des millions de dollars, connaissent déjà le but à atteindre, les moyens à employer. Ils vendent des bananes, des oranges, du poisson séché, changent de la monnaie, prêtent à la petite semaine et vivent huit jours avec une poignée de riz. Dès qu’ils ont amassé quelque argent, ils étendent leur commerce et le cercle de leurs affaires, se lancent, avec tout leur patrimoine, dans des spéculations hasardeuses et productives. Quelquefois cela rate ; ils en sont quittes pour recommencer avec une patience que rien ne rebute, une audace que rien n’arrête, une énergie qui ne se dément pas. Et comme ils ont du flair, ils réussissent souvent.

Le but d’un Chinois qui veut s’enrichir est d’arriver à être « Comprador. » Cela consiste à être l’agent d’une compagnie, d’une banque, d’une maison de commerce. Toutes les affaires qui se traitent avec les indigènes, passent par lui ; il en est responsable et touche une part des bénéfices. Certains de ces « compradors » versent des cautionnemens qui dépassent un million de dollars. Ils occupent des fonctions de gros actionnaires, de gros administrateurs. Et ce qui contribue à leur puissance, c’est l’impossibilité de s’en passer. Une société qui voudrait faire des affaires avec les indigènes sans « comprador » serait certaine d’être flouée. Avec lui et son cautionnement, elle ne court aucun risque. Mais ce sont des services qui se payent. Aussi la race des Chinois riches va-t-elle constamment en augmentant, et on peut prévoir le jour où ils mettront les Européens hors de leurs propres affaires, ou ne s’en serviront plus, à leur tour, que comme « compradors » pour les marchés à conclure avec l’Europe. Voilà le péril jaune, beaucoup plus imminent, beaucoup plus dangereux, que le rêve d’invasion à main armée de certains idéologues qui n’ont jamais été en Chine.