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fraîches. L’une d’elles, au moyen d’une roue, actionne un montant de bois qui, à intervalles réguliers, frappe une cloche de bronze. C’est la transformation de l’énergie mécanique en prière que nos ingénieurs n’ont point encore trouvée. Partout des dieux grotesques ou étranges devant qui brûlent avec lenteur des bâtonnets parfumés. Personne ne prie, du reste. Les rares pèlerins qui gravissent la montagne viennent là comme un Parisien sceptique chez Mlle Couesdon pour demander des renseignemens sans importance sur leur destinée. Ils agitent et jettent à terre de petites fiches de bois. Selon celle qui tombe la première, on a droit à un carré de papier où est écrit un horoscope. J’en ai, paraît-il, tiré un excellent. C’est du moins ce qu’un bon moine m’a expliqué par signes, car je n’y ai, comme de juste, rien compris.

Le Père abbé vient au-devant de nous sur le parvis du monastère. Il prend Mme de B… par le bras pour l’aider à gravir les degrés, et nous pénétrons dans la salle du chapitre. Là on nous offre du thé et des fleurs. Le supérieur, qui paraît un bon moine réjoui, tel que les décrivait Rabelais, porte gaillardement ses soixante-dix ans. Il converse avec nous le plus gaiement du monde au moyen d’un interprète et des quatre mots d’anglais qu’il posséde. On nous apporte de l’eau tiède pour nous laver, et encore du thé, et encore des fleurs. Puis le Père reprend le bras d’une de ces dames et nous guide dans son domaine. Nous parcourons ainsi de fond en comble le monastère, fleuris comme des animaux gras et obligés de nous garer d’une foule de petits moinillons obséquieux qui surgissent dans tous les coins avec des théières et des tasses.

La visite terminée, nous nous reposons dans une chapelle extérieure. Là, dans un site sauvage, au fond d’une gorge où coule une source fraîche, un vieux Bouddha vermoulu contemple, de ses gros yeux peints, le magnifique paysage de la vallée du fleuve et les monts d’en face qui se dorent aux derniers rayons du soleil.

C’est un endroit délicieux pour s’arrêter en songeant aux étrangetés et aux inconséquences de la nature humaine. Que font là ces moines qui ne mangent que des légumes et marchent pieds nus, mais qui ne croient ni à leur religion ni à leur Dieu ? Quel est leur idéal ? Quel est leur rêve ? Est-ce de passer une vie tranquille exempte de passions et de peines ? Est-ce un espoir de récompenses futures et d’immortelles félicités ? L’autre jour, dans