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soufflant très fort pour faire avancer leur vaisseau. Nous sommes revenus au temps heureux de notre enfance. Nous jouons à quatre pattes avec des poupées. Mais tout a une fin. On décampe. J’embrasse ma petite amie qui m’a décidément appris la « djonkina, » et chacun, bien sagement, va se coucher chez soi.

Après une mauvaise nuit passée en chemin de fer, je me réveille au petit jour pour découvrir par la portière le Fusi-Yama dressant en face de moi son énorme cône qui semble sortir seul et sans contreforts de la plaine qui l’environne. Tout le monde a vu sur des paravens son aspect pointu, son épaisse calotte de neige qui descend jusqu’à son pied, pendant que de son sommet glacé s’élève une petite fumée, mince panache qu’agite le vent. Mais, ce matin, il fait encore noir et le colosse paraît tout proche, se profile seul nettement au milieu du paysage à peine entrevu qui l’entoure. Soudain, le soleil se lève, quelque part, là-bas, sur la mer. On ne le voit pas ; la nature reste sombre, mais le sommet du pic s’éclaire graduellement. C’est d’abord une flamme, un éclair qui jaillit de la pointe ; puis, peu à peu, cela s’étend, cela s’allume comme une lampe électrique où le courant arrive progressivement. Bientôt tout le cône est en feu, éclatant de lumière dans le ciel bleu pâle, presque gris. Et c’est un spectacle inoubliable que celui de cette masse de neige, rouge, étincelante comme un brasier, au milieu de la plaine sombre encore où courent, s’accrochant aux arbres, les derniers brouillards de la nuit.


TOKYO

10 heures du soir. — Grande toilette, habit, cravate blanche ; ces dames décolletées ; des perles et des diamans partout. Nous arrivons à l’ambassade de Chine où il y a un grand bal. De jeunes attachés d’ambassade chinois, longues robes et longues queues, ne parlant ni anglais ni français, offrent le bras aux dames pour les mener au vestiaire. Des salons nus, meublés à l’européenne, avec lumière électrique. Un hall où des Américaines flirtent déjà : une pièce spéciale pour les hommes : tables de poker, gros cigares enveloppés d’argent. On joue des valses, des quadrilles, des polkas. Des officiers de marine de toutes les nations du globe, des attachés militaires en grande tenue, des ambassadeurs, des princes. Des officiers japonais constellés de