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propre initiative, simplement guidée et mise en valeur. Ce soin et cette petite diplomatie lui sont rendus faciles par le sentiment de plaisir intérieur qu’il éprouve lui-même à percevoir les résultats de son œuvre, à s’amuser de la joie commune et à se réjouir de cette fraternité qu’il a pu créer.

Ne dissimulons rien : artiste et cherchant à réaliser de la façon la plus harmonieuse le rêve dramatique qu’il a conçu, il ne peut attendre de ces interprètes la perfection. Il faut ici laisser une part assez large à l’improvisation et compter plus sur la verve naturelle des acteurs que sur un travail minutieux. Les qualités, comme les défauts, sont sincères et ne doivent rien à l’artifice : ceux-ci sont d’autant plus apparens qu’ils ne peuvent se dissimuler derrière les procédés du métier. Les qualités, en revanche, y gagnent du prix ; il y en a de très réelles et de très rares. C’est surtout dans la comédie qu’elles trouvent lieu de s’exercer, là où la tenue et le style importent moins que la chaleur et la spontanéité de la vie. Le naturel de ces acteurs, dans les scènes qui imitent les événemens dont ils furent souvent témoins et les mœurs qu’ils connaissent de près, est extrêmement savoureux. Il avertit l’auteur que son observation a touché juste, dans tous les passages où ce naturel atteint du premier coup son expression ; quand il hésite et se ralentit, il donne à craindre que la scène n’ait qu’une réalité douteuse ou que le mot employé ne soit pas le bon. C’est le contraire de ce qui arrive assez souvent dans les théâtres de ville, où les acteurs secondent mieux l’auteur quand la scène ou le mot sont dans la convention dramatique, et risquent de le trahir lorsqu’il a fait effort pour se rapprocher davantage de la réalité.

Les dons de l’acteur ne sont pas nécessairement en rapport direct avec son degré de culture ; mais je n’ai jamais observé que ces qualités fussent indépendantes de l’intelligence générale : elles en sont la conséquence et le signe. Les meilleurs acteurs de Bussang ne sont pas toujours les plus instruits, mais ils sont les mieux doués, soit d’imagination, soit de jugement, celui-ci dirigeant chez eux l’observation, celle-là y ajoutant la fantaisie. Nul doute, pour un ou deux d’entre eux, que si leur condition sociale leur eût permis de recevoir l’éducation qui est offerte à un fils de famille, ils n’eussent été des esprits distingués.

La tragédie ou le drame héroïque ne saurait guère se passer de cette culture générale ; car elle exige des acteurs une