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à l’instinct du grand nombre l’autorité d’un goût plus sûr.

Soit que la majorité des spectateurs étant composée d’élémens naïfs, leurs sentimens se manifestent sous une forme plus vive, soit que beaucoup de ces spectateurs, entendant la pièce pour la seconde fois, la comprennent mieux et plus rapidement, les représentations gratuites l’emportent sur les autres par la spontanéité des impressions et par la chaleur des témoignages que le public en donne. Ce public est plus facile à émouvoir, sans doute ; mais il est incapable, s’il s’ennuyait, de feindre l’intérêt. Il n’est jamais arrivé qu’une pièce, ayant eu du succès à la première représentation, en retrouve un moindre à la reprise ; mais il est arrivé que des pièces accueillies d’abord avec quelques réserves ou dont l’effet pouvait sembler douteux ont pleinement réussi ensuite, — quoique les réserves, formulées par les spectateurs lettrés de la première représentation, eussent précisément pour cause le doute où ils se trouvaient que le public populaire pût comprendre et goûter le spectacle. J’en montrerais facilement des exemples, si ce que ces œuvres ont de trop personnel ne me faisait une obligation d’être bref sur ce point.

La psychologie du public populaire est encore mal connue ; elle expose à des erreurs assez grossières ceux qui mettent trop de hâte à vouloir en définir les lois. Un fait qui frappe beaucoup les spectateurs ayant une éducation théâtrale déjà faite et habitués à mettre de l’ordre et de la logique dans leurs sensations, est le suivant : ce public manifeste presque exclusivement le plaisir que lui procure l’émotion dramatique par le rire. Le rire peut très bien éclater au cours d’une situation qui semble propre bien plutôt à provoquer une impression de tristesse, de terreur ou de pitié. Ce rire intempestif blesse les autres spectateurs, dont il interrompt l’émotion et qui croient y voir une marque de sottise ou d’ironie. Un peu d’expérience montre cependant qu’on ne doit pas l’interpréter ainsi : il ne traduit le plus souvent que le plaisir causé par une imitation exacte d’une action réelle ou d’un sentiment juste. Certains gestes, un baiser, un mouvement brusque et violent, un coup, même destiné à donner la mort, le provoquent, dans quelque situation que ce soit, et presque à coup sûr. Il est bon de noter que ce public ne dispose, pour donner cours à ses sentimens, que d’un mode d’expression simple et assez grossier ; que le rire est, chez lui, une façon d’applaudir ; qu’il déguise souvent des émotions dont un être rude et