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c’est-à-dire qu’en faisant rire ou pleurer l’homme, il lui donne l’occasion de réfléchir sur les joies et les misères de sa condition. S’il n’en était ainsi, quelle différence y aurait-il entre un art qui met en jeu tant de forces et de ressources humaines et un exercice de baladins ? Mais il ne prétend ni convertir les ivrognes, ni rendre prodigues les avares ; il pense qu’il est peu de pièces où s’affirme moins que dans la plupart des siennes, la préoccupation de développer une thèse, si forte chez tous les auteurs contemporains. Il lui suffit, en fait de leçons, de répandre un peu de tendresse pour ce qu’il aime, un peu d’aversion pour ce qu’il déteste, et surtout beaucoup de pitié.

Toutes ces pièces ont un caractère provincial et campagnard en ce sens que le pays lorrain y fournit le décor et que les personnages sont généralement pris dans la vie réelle et dans le milieu vosgien, avec leurs mœurs, leur langage et leurs passions familières. Toutefois ce caractère topique et cette couleur locale y ont une importance moins grande qu’on ne leur en attribue, et peut-être ces personnages conserveraient-ils quelque vie, si on les séparait du décor précis où ils s’agitent et si on leur ôtait les agrémens que leur prêtent l’entourage, le site et la copie minutieuse d’une réalité extérieure si nettement fixée. L’auteur, du moins, ne le cache pas : sa tendance est d’élever de plus en plus l’art comique et tragique vers lequel il s’efforce, à un caractère de généralité et d’universalité, en laissant une part de moins en moins prépondérante aux élémens purement pittoresques et accidentels. Il sait bien que ceux-ci ont la faveur de la mode et de quel poids ils pèsent dans le succès ; mais il croit aussi que ce ne sont là, pour l’art, que des ornemens fragiles et souvent une cause de caducité. — Gréant de toutes pièces une organisation nouvelle, il lui a fallu réunir d’abord les conditions les plus capables d’en assurer le succès et la durée : il a, pour ainsi dire, planté son œuvre dans la terre natale, afin de lui faire prendre de solides racines. Mais son espoir fut toujours de monter peu à peu avec eux vers des œuvres où la forme, en se simplifiant, donnât plus de concentration et de hardiesse à la pensée, et dont la vie fût accessible, non pas seulement à une population déterminée, mais à l’ensemble des hommes. En même temps il rêvait de faire connaître un jour à ses spectateurs quelques-unes des grandes œuvres du passé, qui sont l’objet de son admiration et de son culte. Il attendit sept ans, pendant les