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accueil très favorable. Pour ces deux raisons, le public scientifique est obligé de compter avec elle, et, tout au moins, de la connaître.


I


Tout être nouveau ressemble à ses ascendans, en entendant ce mot dans le sens le plus large. On dit — et ce n’est qu’une forme de langage — qu’il doit cette ressemblance à l’hérédité. L’hérédité est donc simplement le nom par lequel on exprime le fait de la ressemblance du rejeton à ses parens. — D’autre part, la ressemblance n’est pas absolue. Jamais, par exemple, deux animaux d’une même portée ou deux plantes d’un même semis ne sont identiques. On donne le nom de variation, variation individuelle, à ces divergences ou à la faculté de les présenter. C’est donc un fait qu’il y a, dans les générations nouvelles, apparition de caractères impossibles à attribuer à un retour de traits ancestraux, c’est-à-dire véritablement nouveaux et inédits. On discute seulement sur l’étendue et l’importance de ces caractères.

On ne peut contester que la variation n’existe : les formes vivantes n’ont pas une rigidité lapidaire ; elles varient sans cesse, et ce sont ces variations qui ont été utilisées par les éleveurs pour la création des races. Mais les modifications de ce genre restent comprises entre certaines limites. Leur amplitude est restreinte par trois conditions que voici : en général, elles ne sont pas permanentes et disparaissent en même temps que les circonstances qui les ont fait naître ; elles ne sont pas transmissibles par génération aux descendans ; et, enfin, les êtres modifiés ont conservé l’aptitude de se croiser avec ceux qui n’ont pas été modifiés. Et c’est ce que l’on veut dire en déclarant que ces variations individuelles ne peuvent créer une espèce nouvelle ; car ces trois traits qui manquent à l’être modifié sont précisément ceux qui définissent l’espèce.

On n’a, jusqu’ici, jamais vu une espèce animale ou végétale en engendrer une autre ou se transformer en une autre. En d’autres termes, personne, sauf peut-être Hugo de Vries, n’a aperçu une forme vivante sortant d’une autre forme différer de celle-ci par des traits de la valeur de ceux qui distinguent les espèces, et se montrer inapte à se croiser avec elle, quoique capable de se maintenir et de se conserver par génération. Une transformation si profonde ne peut s’accomplir en un moment et d’un seul coup.

Darwin a imaginé qu’elle pouvait s’accomplir par degrés. La répé-