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les fondemens expérimentaux et de fournir les justifications de fait, il convient d’en bien fixer la signification, la portée et les conséquences.

Cette théorie est une sorte de réhabilitation de l’idée de l’espèce. Elle n’en fait pas, sans doute, l’entité fixe, la catégorie spéciale et immuable de la Pensée créatrice, qu’admettaient les anciens naturalistes à la suite de Linné. C’est vraiment une doctrine transformiste ; elle admet l’existence possible d’un nombre infini d’espèces descendant les unes des autres. Néanmoins il ne faut pas se dissimuler qu’elle confère à l’espèce une existence objective, une sorte de réalité que l’école transformiste avait perdu l’habitude d’envisager. « Les espèces apparaissent, dit H. De Vries, comme les unités invariables dont a besoin la systématique… Leur existence est réelle comme celle des individus. L’espèce naît, traverse une courte jeunesse, pendant laquelle elle est sujette à la mutation spécifique, se maintient à l’état adulte pendant une période qui peut être extrêmement longue, puis disparaît finalement. »

La doctrine de H. De Vries s’oppose à celle de Darwin sur presque tous les points. La théorie darwinienne a pour cheville ouvrière la variation individuelle ; la théorie nouvelle, la mutation spécifique.

Les variations individuelles sont progressives, le plus souvent dirigées par l’adaptation au milieu extérieur dans un sens déterminé par la « survivance du mieux adapté ; » elles sont continuelles, c’est-à-dire se produisent à toute époque. Les mutations sont tout autre chose. Ce sont des métamorphoses non déterminées par l’adaptation ; elles se produisent dans des sens divers, sans direction aucune, tantôt nuisibles, tantôt profitables, tantôt indifférentes au porteur ; elles se montrent seulement à certaines périodes de la vie de l’espèce. Elles apparaissent d’ailleurs les unes et les autres sous l’action de causes déterminées, mais de nature inconnue. Les premières intéressent plus ou moins profondément toutes les parties de l’organisation : les autres affectent d’une manière particulière la fonction de reproduction. Dans la théorie darwinienne la forme première est séparée de celle qui en diffère spécifiquement par une longue suite de générations. Pour H. De Vries, la forme première, qui en engendre une autre et, ordinairement, beaucoup d’autres, coexiste, à côté de cette espèce fille. Après sa formation seulement, celle-ci entre en compétition avec l’espèce souche, et ce sont les circonstances qui décident laquelle subsistera et laquelle disparaîtra. Ici, la lutte pour l’existence et la sélection suppriment des espèces, mais n’en créent point. En résumé, le trait le plus caractéristique de la mutation est d’être une manifestation