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un silence prudent, et la raison en est simple : c’est qu’il fait le plus grand honneur au gouvernement pontifical, et n’en fait vraiment aucun au gouvernement de la République. Le contraste entre les procédés employés de part et d’autre est encore plus choquant qu’on n’aurait pu le croire. A maintes reprises, le gouvernement de la République sollicite ou provoque l’intervention du Saint-Siège pour modérer la fougue des catholiques français, ou pour contenir le zèle de certains membres du clergé qui se porte à des excès ou à des écarts. L’intervention du Pape s’est produite toutes les fois que nous en avons exprimé le désir, et elle a été presque constamment efficace. Cette constatation était bonne à faire, dans un moment où il est chaque matin question de dénoncer le Concordat. Le Pape a trop fréquemment, hélas ! l’occasion de se plaindre ; il le fait toujours avec douceur, avec modération, avec dignité, parlant quelquefois de son découragement et de sa lassitude sans que jamais ses plaintes prennent la forme de la récrimination amère, et encore moins de la menace. C’est notre intérêt qu’il invoque, lorsque, par une politique imprudente, nous portons atteinte à ce protectorat catholique en Orient et en Extrême-Orient, que nous détruisons de nos propres mains tout en déclarant y tenir ; et c’est encore notre intérêt qu’il met en avant lorsque, en infligeant des échecs éclatans à sa politique de conciliation et d’apaisement, nous diminuons auprès des catholiques de France l’autorité que nous lui demandons si souvent d’exercer sur eux. Le langage de la diplomatie pontificale est digne des meilleurs jours de l’histoire de l’Église ; le nôtre a toutes les apparences de l’incohérence et de la mauvaise foi.

L’incident qui, dans le Livre Jaune, a le plus frappé l’attention a trait à l’avis du Conseil d’État du mois de janvier 1905, en vertu duquel une école ouverte par un ou plusieurs congréganistes doit être considérée comme un nouvel établissement ouvert par la congrégation elle-même, quels que soient le propriétaire ou le locataire de l’immeuble et le mode de rémunération du personnel enseignant. C’est de cet avis, rendu en assemblée générale, que s’est récemment inspiré le Conseil d’État statuant au contentieux pour rendre les arrêts auxquels nous avons fait allusion plus haut. Dès qu’il a été connu de lui, le Saint-Siège s’en est ému. Notre ambassadeur, M. Nisard, écrit en date du 29 janvier 1902 : « Le secrétaire d’État m’a parlé de l’impression qu’avait produite au Vatican l’avis récent du Conseil d’État du 23 janvier sur les conditions auxquelles sera soumise désormais l’ouverture de nouvelles écoles congréganistes. Le cardinal Rampolla se montre très préoccupé des conclusions de la haute assemblée, qui lui