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actes les soupçons les plus injurieux et porte un préjudice considérable à la réputation ou aux affaires, le citoyen lésé ne pourra invoquer que des textes douteux, une jurisprudence contestée, et la réparation, s’il peut jamais l’obtenir, sera aussi tardive qu’inefficace.

C’est là une situation intolérable, et qui, pourtant, se prolonge depuis un siècle. Il est plus que temps de l’examiner, en indiquant son origine ; en constatant la nature du mal ; et en recherchant, surtout, le remède qu’il comporte.


I


Ceux de nos contemporains qui protestent contre les actes dont nous sommes témoins, depuis un an, obéissent à l’indignation la plus légitime et accomplissent un devoir. Ils ont raison de dire que jamais le pouvoir n’a agi avec plus de brutalité ; que les projets de lois sont inspirés et imposés par l’esprit sectaire ; que, grâce à de misérables raffinemens, la procédure parlementaire, destinée à protéger la liberté de discussion, est mise en œuvre pour l’étouffer ; que le Parlement, transformé en cour de justice, refuse le droit d’être défendus à ceux qu’une majorité intolérante a d’avance condamnés ; que les lois, votées avec une coupable étourderie, contiennent des pièges ; que le gouvernement, non content d’obtenir des Chambres des lois violentes, en aggrave la portée en les violant, et qu’ainsi la puissance publique, dont la tâche est d’entretenir la paix, trahit sa mission en portant le trouble dans les âmes et la guerre dans les rues. Tout cela est vrai et nul ne peut le nier. Mais si, dans leur émotion, ceux qui se plaignent vont jusqu’à dire qu’avant le gouvernement actuel, il existait des lois protectrices de la liberté individuelle et de l’inviolabilité du domicile, et que ces lois sont méconnues, nous nous permettrons de répondre qu’ils sont victimes d’une complète illusion : portant en eux-mêmes un idéal de justice, ils croient le voir dans notre législation, tandis que nos Codes, nos Lois organiques, et notre Constitution n’ont rien fait pour élever autour de nous un rempart qui protège nos personnes.

Pour qui essaye de réfléchir, de s’éloigner de l’arène afin de regarder d’un peu plus haut la mêlée, il est peut-être heureux que nous subissions une si brutale application des lois. Il n’y a plus d’illusion possible. Le voile est déchiré. S’il y a encore