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garanties qui font un peuple libre n’apparaît que comme le résultat d’une volonté intermittente qui interrompt de date en date la prescription, empêche l’oubli en montrant un idéal, honore l’élite, réserve l’avenir, mais ne fonde rien.

On a dit que les mœurs étaient plus fortes que les lois : elles se sont montrées plus fortes que les révolutions. Ni 1789, ni les constitutions qui l’ont suivi, n’ont tenté d’établir les droits de l’individu sur des bases solides. La génération qui faisait la Révolution avait de plus pressans soucis : faire triompher le vœu héréditaire du Tiers État en proclamant l’égalité civile, assurer la participation du pays à ses propres affaires en décrétant le vote annuel de l’impôt et la délibération des lois par les représentans du peuple, voilà les principes qui, depuis 1815, n’ont pas été contestés.

Mais la liberté individuelle, qu’a-t-elle gagné depuis l’ancien régime ?

Elle a été partout proclamée, inscrite dans nos constitutions, écrite dans nos codes, mais, en réalité, elle était méconnue. Les textes n’ont été qu’une apparence : derrière cette façade, le monument n’existait pas ; c’était un mensonge officiel. Les cahiers des États généraux avaient été unanimes, et Clermont-Tonnerre, rendant compte à l’Assemblée constituante des vœux qu’ils contenaient, avait pu dire : « La nation réclame, dans toute son étendue, la liberté individuelle. Les agens de l’autorité sont responsables. La liberté individuelle est sacrée. » Les rédacteurs de la Déclaration des droits s’imaginèrent qu’ils avaient trouvé une formule précise en disant : « Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites et dans les cas qu’elle a prévus (art. 17). » Vaine promesse, qui ne présente en elle-même aucune valeur ; qui est rassurante si la loi est précise, si les formes sont protectrices, si les recours sont assurés ; qui ne met obstacle à aucune violence légale ; qui laisse passer les décrets de la Convention comme les prisons d’État du premier Empire, les cours prévôtales aussi bien que la loi de sûreté générale.

N’essayons donc de trouver des garanties ni dans des textes accumulés à l’heure où, entre les prisons et l’échafaud, les accusés n’avaient d’autre juge que le Tribunal révolutionnaire ; ni dans les décrets du Consulat, alors que la constitution de l’an VIII investit le gouvernement du droit d’arrestation « par