Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premiers criminalistes de notre temps, M. Faustin Hélie, avait raison d’en être épouvanté, et il n’est pas un magistrat, digne de ce nom, qui, s’il a été investi de ces fonctions, hésite à avouer qu’il n’est pas, pour la conscience, de poids plus redoutable. Maîtres de la liberté individuelle par les mandats, des propriétés par les saisies, du secret des familles par les lettres interceptées, les juges d’instruction ont, dans leurs mains, la personne des citoyens, leur honneur et leur vie.

Tous ces pouvoirs ont été dévolus au juge, parce qu’en qualité de magistrat inamovible, il inspire confiance ; interprète des lois, il appartient à un corps chargé de les appliquer ; son devoir est de les connaître ; sa mission, d’étudier les hommes et les faits. On répète que la garantie du juge est son indépendance : il est plus vrai de dire qu’en dehors des qualités morales, des vertus de caractère qui seules font le juge, la garantie la plus efficace est le lien entre les membres d’une même compagnie judiciaire ; l’abus de pouvoir que, par ambition, oserait concevoir un isolé, un juge ayant l’esprit de corps n’a pas l’audace de l’accomplir.

Que penser alors d’une loi qui investirait de tous les pouvoirs du juge d’instruction des fonctionnaires politiques ?

C’est pourtant ce qu’a fait la législation française depuis cent ans ! Tout ce que peut le juge d’instruction, tous les droits que nous venons d’énumérer et dont l’étendue fait trembler, les 86 préfets de France les possèdent personnellement : mandats d’arrestation, visites domiciliaires, saisies de lettres, ils peuvent, d’un trait de plume et sous leur signature, tout prescrire, tout ordonner. Rien ne les a préparés à user de nos lois criminelles, et ils ont tous les pouvoirs du juge d’instruction. Ne relevant que du ministère de l’Intérieur, recevant ses ordres, n’étant que des agens d’exécution, ils ont en mains la liberté des citoyens ; personnages politiques, ils dépendent des ministres les plus éphémères, et n’ont pas l’idée d’une résistance possible ; que le ministère soit entre les mains de violens et de sectaires, il n’y a pas de limite aux actes de persécution qui peuvent être accomplis.

L’article 10 du Code d’instruction criminelle est ainsi conçu :

« Les Préfets des départemens et le Préfet de police à Paris pourront faire personnellement, ou requérir les officiers de