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’art sommeille encore en Italie pendant presque un demi-siècle après la tentative de Nicolas de Pise. A Orvieto, à Sienne, au cœur même de l’Italie, la sculpture grandit lentement, malingre enfant chrétien, tandis que la peinture, d’un bond, atteint à d’étranges nouveautés. Partout ailleurs, on fait encore du « gothique. » Giotto, ami de Dante, et, en quelque sorte, peintre de ses pensées, avait déjà peint les voûtes du mystérieux oratoire élevé sur le tombeau de saint François, à Assise, et il commençait, architecte par les couleurs déjà bien plus que par les formes, le campanile polychrome de Sainte-Marie des Fleurs, qu’on attendait encore à Florence, qui allait devenir le centre du moderne mouvement, quelque progrès significatif en sculpture.

Si l’on pense que peu d’années séparent ce Giotto, penseur en fresques, poète des murailles symboliques, peintre aux gestes si justes, si émus, vraiment occidentaux et définitivement chrétiens, de Donatello, fils lointain, gauche et sincère du grec primitif, et que ce grave et rude Donatello, si heureux et si grand de nobles ignorances, eût pu connaître Michel-Ange, qui le suit et logiquement le continue, combien apparaîtra rapide et fatale la route vers l’abîme où marchait l’antique sculpture ! Michel-Ange ! sublime coupable de toute la décadence, Titan meurtrier des derniers dieux ! L’accidentel et formidable génie, sans père légitime et sans fils possible, faillit étouffer l’art sous l’inquiétude grandiose qu’il promena toute sa vie de Florence à Rome, avec son irascible et majestueuse chasteté ! Qui sait après quelles hésitations le tout-puissant sculpteur se décida à revêtir sa pensée de couleurs, et à peindre sur les voûtes de la Sixtine ces simili-statues qui sont des dieux déchus ? Dans les exagérations surhumaines du Moïse comme dans les architectures impossibles de la Sixtine se devine et se sent, plus que ne s’explique avec des mots, la définitive différenciation des deux arts qui se disputaient l’expression de l’art moderne. Michel-Ange a, sans doute, prouvé, — sans le vouloir, ou plutôt par ordre du Pape, puisqu’on sait qu’il fut, par la volonté de l’impérieux Jules II, obligé de quitter ses ateliers de praticiens à Florence, pour monter, contraint et forcé, sur l’échafaudage des peintres, au Vatican, — que Jehovah ne pouvait être sculpté en beauté autrement que Jupiter. Du jour où il put venir à l’esprit d’un artiste, fût-il le plus grand, de représenter le Christ comme un autre