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sentiment d’ineffable mélancolie, » le regret de l’idéal qu’elles ne parviennent pas à atteindre !

Où donc devons-nous chercher la véritable supériorité de Botticelli sur tous les autres artistes italiens ? C’est uniquement, d’après M. Streeter, dans son merveilleux génie de « décoration ». Botticelli, à l’en croire, aurait été « le premier peintre qui a apprécié son art plutôt pour ce qu’est cet art lui-même que pour ce qu’il est capable de représenter. » En d’autres termes, le maître du Printemps aurait été le premier à se servir de la peinture non point pour reproduire ni pour créer des formes vivantes, mais pour agencer, dans un ensemble harmonieux, de belles lignes d’un rythme expressif. Botticelli aurait été, à ce compte, quelque chose comme un musicien de la peinture. Lui seul se serait consciemment proposé l’idéal que nous prêtons volontiers aux sculpteurs du Parthénon, ou encore à l’incomparable poète du Parnasse du Louvre. « Développant, les ressources de son art en vue d’un effet purement esthétique, il n’a voulu chercher qu’une beauté abstraite, en dehors de toute figuration réelle comme de toute signification spirituelle ou morale. » Et sans doute, si vraiment Botticelli avait visé à cela, nous aurions aujourd’hui à lui en savoir gré, quelle que fût notre opinion sur la manière dont il a réussi dans son entreprise. Mais pouvons-nous, je le demande, prendre au sérieux un seul instant l’agréable hypothèse de M. Streeter ? Lui-même nous dit que tantôt Botticelli « s’élève à une extase de ferveur religieuse, » que, d’autres fois, « il nous apparaît un moraliste et un satiriste, » et, d’autres fois encore, « un parfait courtisan ; » que, dans ses fresques de Rome et dans ses Adorations des Mages, il introduit une foule de portraits d’une vérité humaine à la fois savante et profonde ; qu’il s’intéresse constamment « au mystère de la vie humaine ; » et que, d’autre part, il est inférieur pour la composition à la plupart de ses contemporains. Qu’est-ce qu’un décorateur qui ne sait pas composer ? Et comment un musicien de la ligne abstraite peut-il être en même temps un habile portraitiste, « s’intéressant aux plus sombres problèmes de la vie humaine ? » Mais surtout, comment M. Streeter, pour porter un tel jugement sur Botticelli, peut-il éliminer de son champ d’observation les trois quarts de l’œuvre du vieux peintre, depuis l’Holopherne de 1470 jusqu’à la Pietà de Munich, et à ces Scènes de la vie de Saint Zénobie où le souci d’une reproduction exacte et minutieuse des faits se trouve poussé jusqu’au réalisme le plus prosaïque ? Deux ou trois tondi religieux, le Magnificat, la Vierge à la Grenade, la petite Vierge du musée Poldi-Pezzoli, et les quatre