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civique, et dont aucun travailleur, même par un contrat soi-disant libre, n’a le droit de faire abandon.

Péché originel, droits souverains de l’homme, liberté plénière, lutte pour l’existence, anarchie : voilà la pente sur laquelle Léon XIII, messager du catholicisme social, voulait arrêter l’humanité. Et par ses enseignemens il l’invitait à remonter une autre pente, dont les jalons étaient, au contraire : rédemption universelle, fraternité humaine, épanouissement de cette fraternité en un ordre social chrétien, organisé, suivant les heures et les besoins, par l’autonomie professionnelle ou par l’Etat.

Sur ce terrain pratique, le catholicisme social et le socialisme révolutionnaire s’affrontaient ; ils engagèrent entre eux des joutes confuses, indécises. Le catholicisme social était tout fraîchement équipé, et le socialisme, au contraire, était comme encombré par de fâcheux bagages. Le catholicisme social avait besoin de compléter sa doctrine en élaborant derechef et en adaptant les vieux enseignemens du droit canon sur la spéculation et sur ce que le Pape appelait l’ « usure vorace : » Léon XIII a laissé cette tâche aux pontificats ultérieurs. Le socialisme, en revanche, se traînait à la remorque d’une philosophie matérialiste médiocrement qualifiée pour étayer un idéal social. Tandis que le catholicisme social, en présence de certaines injustices, permettait d’en appeler à la rébellion des consciences, le socialisme en était souvent réduit à invoquer, tout simplement, la rébellion des estomacs affamés. Il avait sur les masses, d’ailleurs, le droit d’un premier occupant ; mais Léon XIII escomptait, pour un lointain avenir, le succès d’une doctrine de relèvement social qui se présente comme d’émanation divine. Les humbles pourraient-ils détester que l’on dérangeât Dieu pour eux ?

Il parut, dès le printemps de 1893, que les humbles acceptaient avec gratitude ce dérangement. Les organisations ouvrières de la Suisse, protestantes ou socialistes en majorité, tenaient à Bienne leur congrès. Discuter sur le régime du travail et sur les moyens de l’améliorer, tel était le programme. Les congressistes souhaitèrent, à la presque-unanimité, « qu’une propagande internationale fût faite, par les soins des organisations ouvrières catholiques, en faveur de la réalisation des postulats de l’encyclique sur la Condition des ouvriers. » Ainsi, moins de deux ans après cette encyclique, les délégués de la classe ouvrière, dans la plus ancienne démocratie du vieux monde, trouvaient dans le