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la démocratie, est, dans certains cas, contraire à une justice supérieure, et par conséquent nulle. La démocratie américaine, par une sorte de postulat, décerne à sa Cour suprême une prérogative de quasi-infaillibilité ; et il est assez piquant de constater que le cardinal Gibbons, dans le chapitre de son livre : La foi de nos pères, consacré à l’infaillibilité pontificale, évoque l’exemple de ce tribunal d’outre-mer pour établir, par analogie, la nécessité d’un pouvoir suprême permanent et stable à la tête de l’Église[1]. Ce n’est pas la seule fois, du reste, que des comparaisons empruntées à la vie américaine ont servi à défendre les institutions ou les revendications de l’Eglise romaine : qu’on se rappelle, plutôt, le parallèle tracé par Mgr Ireland, il y a trois ans, entre Washington et Rome. Washington, dont les citoyens ne sont admis à aucune vie politique, achète par cette privation l’honneur d’être une capitale fédérale : l’archevêque de Saint-Paul s’armait de ce précédent pour plaider en faveur du caractère international de la Ville Eternelle, capitale de cette autre fédération qu’est la chrétienté. La démocratie américaine n’offre pas seulement au Saint-Siège un afflux de fidèles et de promesses, mais aussi un renouveau d’argumens…


IV

Le pontificat suprême, au lendemain du concile du Vatican, faisait l’effet à beaucoup d’un colosse aux pieds d’argile : on constatait qu’au mouvement d’exaltation qui l’avait comme rapproché du ciel, avait succédé, tout de suite, une rupture de communications avec la terre ; la perte de Rome prenait l’aspect d’une représaille des hommes, — certains piétistes disaient : d’une vengeance de Dieu, — représaille ou vengeance qui châtiait, apparemment, l’altière mainmise de Pie IX sur l’absolu ; et, jusqu’à ce que le doigt de la mort et le marteau du camerlingue Joachim Pecci eussent touché le front du pape Jean Mastaï, on entendit se prolonger ces désobligeans commentaires. Un quart de siècle a suffi pour les rendre archaïques. Léon XIII n’avait encore que dix ans de pontificat lorsque Emile de Laveleye, connu jusque-là par ses pessimistes horoscopes, écrivait un article sur l’avenir international de la Papauté, dans lequel, palliant tant

  1. Gibbons, La foi de nos pères, traduction Saurel, p. 149 ; Retaux.