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L’heure d’histoire où s’inséra son règne était en effet une heure propice, et il y avait comme une harmonie préétablie entre son tempérament de diplomate et les exigences des temps. On sortait d’une période où l’Église, pour assurer sa vie et définir son intégrité, avait dû se resserrer sur elle-même, se distinguer, avec quelque chose d’abrupt et de compassé, de tout ce qui n’était point elle, se contraindre à une incessante surveillance d’elle-même et de ses abords, et affecter l’aspect d’une citadelle d’exclusivisme, au risque de paraître « intolérante. » Les circonstances nouvelles, en même temps que son propre intérêt, conviaient l’Eglise à quitter celle tactique défensive, à projeter autour d’elle toute une série d’avenues, à prier l’humanité qui passe de se considérer comme une invitée : Léon XIII était par excellence l’homme de ce rôle.

Justifiant à merveille, en son sens étymologique, le mot même de pontife, il s’essaya toujours à jeter des ponts, tantôt vers les hommes politiques et tantôt vers les peuples ; tantôt vers les savans, par la loyale et large ouverture des archives du Vatican, et tantôt vers d’autres travailleurs, ceux de l’usine ; tantôt vers les petites communions séparées qui pullulent encore dans l’immobile Orient, et tantôt vers les églises slaves, gardiennes d’antiques liturgies ; tantôt vers les Anglais, qui « cherchent le royaume de Dieu dans l’unité de la foi, » et tantôt vers les Indiens des Indes Orientales, admis et même conviés à recruter parmi eux un clergé indigène.

La lettre Præclara, écrite par Léon XIII en 1894, au lendemain du jubilé, demeure comme le testament de sa vaste et sereine pensée. La moitié de cette lettre a trait aux Eglises orientales ou à la Réforme ; et Léon XIII s’abstient avec soin de toute qualification désagréable pour désigner ces hommes du dehors sur lesquels s’attache son rêve d’universelle paternité. Il évite même de rechercher les causes historiques qui les éloignèrent du bercail : l’histoire, parfois, est mère de divisions… C’est une « misérable calamité » qui sépara de Rome une partie des Slaves ; ce sont « d’insolites renversemens » qui donnèrent à la Réforme un tiers de l’Europe : mots volontairement vagues et qui n’ont rien de justicier, mots pacificateurs s’il en fut. De la Révolution française, de cette Révolution à l’endroit de laquelle les sévérités de Pie IX avaient précédé celles de Taine, Léon XIII dit seulement : « Les dernières années du