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supérieur, — surtout, comme d’ailleurs il était naturel, dans les pays où la Réforme tenait l’autorité. — Le mouvement réel de tolérance excité dans les Églises calvinistes par le supplice de Michel Servet et par la courageuse campagne qu’avaient menée, à cette occasion, Sébastien Castellion[1], Lelio Socin et leurs amis, se poursuivait sans doute, mais lentement ; et, du reste, allait-il, chez les « latitudinaires » les plus généreux, jusqu’à étendre aux contempteurs déclarés et publics de la foi chrétienne ou des cérémonies du culte la mansuétude dont on commençait d’accepter un peu l’idée entre chrétiens de communions diverses ? On en peut douter, à lire la confession de foi de ces Arminiens de Hollande[2], qui s’étaient faits les plus ardens adeptes et les plus zélés propagateurs des idées de Castellion. A côté de protestations vives contre tout despotisme ecclésiastique et contre tout appel au bras séculier dans les controverses, — à côté de déclarations, d’une fraternité largement accueillante pour quiconque, sous quelque nom et dans quelque mesure que ce fût, se réclamerait du christianisme, — un chapitre singulier subsiste, consacré spécialement aux incrédules et aux impies, et où sont consignées les « vengeances de Dieu » qui les attendent, non seulement en l’autre vie, non seulement dans l’ordre spirituel et mystique, mais ici-bas et dans l’ordre temporel, sous forme de « châtimens publics et exemplaires. » C’est que, si le bon sens social s’ouvrait forcément en certains endroits à cette tolérance dont le gouvernement de Henri IV avait osé faire entrer le principe dans la loi française et imposer à tout un peuple l’acceptation, — je veux dire à « la tolérance mutuelle, dans l’Église, entre fidèles séparés par des divergences qui n’atteignent pas les fondemens de la foi[3], » — lorsqu’il s’agissait des négateurs ou des insulteurs des « vérités fondamentales, » la conscience protestante ne s’ouvrait pas plus facilement que la conscience catholique à une clémence dont partout se scandalisaient les zélés et s’inquiétaient les prudens. La distinction, déjà invoquée au temps de Servet par ses juges, entre l’ « hérésie » parfois excusable et le « blasphème »

  1. Voyez pour quelques-uns des faits qui suivent, F. Buisson, Sébastien Castellion, t. II, page 291 et suivantes ; t. Ier, p. 348-349, et notes.
  2. Dans Gérard Brandt, Histoire de la Réforme en Hollande, traduction française, t. III, p. 220 ss.
  3. Titre d’un écrit d’un disciple de Castellion à cette époque, dans F. Buisson, t. II, p. 322, note 1.