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l’engagement écrit qui, en Écosse, équivalait au mariage civil. Autant par sentiment déçu que par orgueil blessé, dépit et colère, le jeune homme s’exaspère et s’affole. Son cœur, qui ne sait pas souffrir, est un étrange chaos de révolte et de désespoir. Comment démêler tant de fils mystérieux et brouillés ? Le plus obscur épisode de la vie de Burns se place à cette période confuse. Nous voulons parler de l’amour pour Mary des Highlands. Au moment où, se sentant comme perdu, il songeait à partir pour la Jamaïque, il rencontra une jeune fille, très douce et très humble, fille d’un matelot de la Clyde et petite laitière d’un domaine du voisinage. M. Angellier suppose, avec une grande vraisemblance, que Burns, meurtri par l’autre amour, allait vers cette douceur qui calme, apaise et console, vers cette enfant qui était tout le contraire de Jane. Six semaines environ après la rupture, Burns, qui se proposait de partir pour la Jamaïque, est fiancé à Mary : « La scène de ces fiançailles et de ces adieux est célèbre dans l’histoire de la poésie anglaise. Tout contribue à lui donner un caractère de grâce pastorale et de mélancolie : la beauté du lieu, la destinée des personnages, et la douceur des vers qu’elle a produits. » Près du domaine où servait Mary, dans le fond de vallée où la Flail et l’Ayr se réunissent, on montre l’aubépine au pied de laquelle les deux jeunes gens se rencontrèrent. Le printemps fleurissait les églantiers et les chèvrefeuilles ; les bruyères étaient semées de jacinthes violettes. Burns donna une Bible à sa fiancée ; et, le soir, ils se séparèrent, pour ne plus se revoir. Mary se rendait dans les hautes terres de l’Ouest afin de préparer son mariage. Le souvenir de cette journée délicieuse ne pouvait suffire à conjurer, dans un cœur aussi véhément et aussi tourmenté que celui de Robert Burns, les fantômes du passé ni les séductions prochaines. Il semble s’effacer bientôt ou du moins reculer devant la vie qui continue, ardente, agitée, incohérente et féconde. Durant l’été, les vers s’impriment à Kilmarnoch et, le 31 juillet 1786, paraissait « un humble volume de deux cents pages, avec sa grossière couverture de papier bleu, son papier rugueux et ses caractères lourds. Il portait comme titre : Poèmes, principalement en dialecte écossais, par Robert Burns. »


Cette poésie avait éclaté, durant les deux années et demie de Mossgiel, comme un printemps joyeux, fantasque et rebelle,