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ont le mieux senti et traduit les rêves de la race, ses émotions, ses tristesses, ses gaîtés, les variations de son humeur, ont préparé à Burns la matière de ses chants et l’ont dégrossie. Sa main délicate et sûre n’a plus qu’à donner la touche suprême. C’est ainsi qu’il achève en beauté et en signification les ébauches de ses prédécesseurs. Il les dépasse même, car, résumant en lui tout ce qu’il y eut de meilleur dans la vieille école écossaise, il atteint, à travers cette tradition de vérité et de poésie, l’inspiration éternelle qui fait l’âme humaine vivante et mélodieuse. Il lui a suffi d’être le plus national des poètes, — un poète de clocher d’abord, — pour en être aussi le plus humain et le plus universel. Et il réalisait ainsi du même coup, pour une inspiration plus pure et plus profonde, une forme plus absolue. Cette simplicité si nette, cette vigueur si aisée, cette fantaisie si juste, ce singulier bonheur d’expression directe et décisive, toutes ces qualités maîtresses réalisent le degré de maturité où seule atteint lentement une évolution naturelle. Oui, l’œuvre de Burns est là, sous nos yeux, fraîche et vive comme une éclosion de la nature. Il faut voir et respirer toutes ces fleurs sur leur tige, dans leur jardin et sous leur ciel. Le plus exquis de cette poésie est vraiment intraduisible. Il y a des strophes, qui ne sont rien, et qui sont divines ; des pièces qui « tremblent d’une flamme invisible » et font passer en nous « l’émotion que le frémissement de la voix donne à des mots insignifians[1]. » (Tibbie Dunbar, Eppie Adair.) Quatre vers suffisent pour évoquer un amour qui unit, à la beauté ardente et précise de la nature, la douceur inexprimable de l’infini : « Mon amour est comme une rouge, rouge rose qui est nouvellement éclose en juin ; mon amour est comme la mélodie qui est doucement jouée en mesure[2]. » Il y a des chansons d’une impertinence charmante ; il y en a d’audacieusement libertines, de tristes et de gaies, de railleuses, de mélancoliques, et d’autres qui disent tout, et d’autres qui laissent entendre ; il y a des comédies et des idylles, des madrigaux, des élégies et des satires, — toutes fines, alertes[3]. Prêtez l’oreille à la musique des mots, écoutez ce discret transport d’un cœur où l’amour s’achève en prière :

  1. Angellier, t. II, p. 281.
  2. A Red, Red Rose.
  3. Voyez When Rosy May comes in wi’ Flowers, Had y the Wyle, whistle and I’ll come to you, my lad, I hae a Wife o’ my ain