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très disproportionnée aux territoires abandonnés par la Prusse sur la rive gauche du Rhin. Dès l’ouverture des hostilités avec l’Angleterre, Bonaparte occupa le Hanovre, domaine du roi George. Mesure de précaution toute classique et consacrée, en pareil cas. Frédéric la conseillait, en 1755, aux ministres de Louis XV, et le Premier Consul n’y avait pas manqué. Mais on s’en offusquait à Pétersbourg et l’on s’en effrayait à Berlin. Le Hanovre, c’était le salaire que la Prusse réservait à sa défection à la cause de l’Europe, si elle se tournait vers Bonaparte, ou à sa défection à la France, si elle se tournait vers la Russie. Elle y voyait les Français avec autant de jalousie que d’inquiétude. Installé dans ce pays, Bonaparte les tenait sous le canon. « Comment, disait Haugwitz, lorsqu’ils seront aux portes de Magdebourg, éviter le dangereux honneur de devenir l’alliée de la République ? » Il s’en ouvrit à Alopeus, ministre de Russie à Berlin : « Nous serons les derniers à être mangés, voilà le seul avantage de la Prusse. » Alexandre écrivit, le 4 juillet 1803, au roi de Prusse. Il adressa, le 3 juin et le 5 juillet, à Alopeus des instructions et des pouvoirs pour traiter d’une alliance « en vue d’un plan général d’action contre la France : » la Russie fournirait 25 000 hommes, au besoin 60 000 ; la Prusse, autant ; la Saxe, de 10 à 20 000, et d’autres Allemands en proportion. Les alliés se garantiraient l’inviolabilité de leurs territoires.

L’Autriche, sondée dans le même temps par les Anglais et par les Russes, atermoya. Elle demandait à la Russie de lui procurer le temps de s’armer, et à l’Angleterre, de lui en fournir les moyens. Jusque-là, elle ne pouvait que travailler à endormir, à force de protestations et d’effusions, la vigilance de Bonaparte.


II

Cette vigilance était toujours en éveil, et il aurait fallu marcher d’un autre pas pour la surprendre ou la prévenir. Bonaparte pressentit ces mouvemens ; il jugea que, s’il ne les rompait, la France se retrouverait aux prises avec la coalition de 1798. Il lui faudrait donc, pour conserver la paix de Lunéville, soutenir les mêmes luttes qu’alors pour conserver la paix de Campo-Formio. Malgré le remaniement de l’Allemagne et les fameuses sécularisations qui, d’après tant de docteurs, devaient cimenter