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III

Les nœuds se formaient, cependant. Dès le 24 mai 1804, à Berlin, dans le plus profond secret, les Russes et les Prussiens échangèrent des déclarations ; elles équivalaient à une alliance, mais elles n’en revêtaient point la forme, elles n’en portaient point le titre, et ce masque suffisait à sauver l’honneur pour le cas où la politique exigerait que la Prusse attestât à Napoléon qu’il n’existait point de traité entre elle et la Russie. L’objet de l’entente était de s’opposer de concert « à tout empiétement du gouvernement français sur les États du Nord de l’Empire, étrangers à sa querelle avec l’Angleterre, » c’est-à-dire à l’occupation de tout autre pays que le Hanovre. Les deux États rappelaient l’alliance, toujours valide, conclue entre eux le 28 juillet 1800. Alexandre avait offert 50 000 hommes ; Frédéric-Guillaume prenait acte de la promesse.

Le jour où son ministre à Berlin s’assurait ainsi le concours éventuel de la Prusse, Alexandre écrivait à François II, lui proposant de concerter « incessamment » un plan d’opérations. La négociation traîna jusqu’en novembre. Le 6 de ce mois, elle se conclut, comme l’entente de Berlin et pour les mêmes motifs, en forme de déclaration d’alliance intime. Les deux États s’engagent à concerter un plan de guerre. Ils mettront en mouvement 350 000 hommes, dont 235 000 Autrichiens, 80 000 Russes et un corps russe d’observation sur les frontières prussiennes. Ils considèrent comme casus fœderis toute augmentation des forces françaises dans le royaume de Naples, toute extension de la France en Allemagne. Ils se garantissent l’intégrité de l’empire turc. La Russie s’engage à procurer des subsides anglais à l’Autriche. L’Autriche s’indemnisera en Italie et en Allemagne.

Dans le même temps, Oubril, définitivement rappelé, quittait le territoire français, et un des confidens du tsar, Novossiltsof, se rendait à Londres avec des instructions détaillées.

« Le premier objet, selon les idées de Sa Majesté Impériale, déclara-t-il à Pitt[1], est de faire rentrer la France dans ses anciennes limites, ou toutes autres qui paraîtront convenir le mieux pour la tranquillité de l’Europe ; le second, de mettre des

  1. Décembre 1804.