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Je me suis dit souvent que vous avez aussi
Vos haines, vos amours, comme vous millénaires,
Quand, dominant l’éclat lugubre des tonnerres,
Vous enflez votre verbe éperdument grossi.

Que de drames dans les ténèbres inconnues
Où s’enfoncent vos troncs par la faim torturés !
Pour croître et vous nourrir, que d’efforts ignorés
De ce lumineux ciel où voyagent les nues !

Quelle guerre sans trêve aux antres souterrains
Où vous devez d’argile informe vous repaître,
Vieux arbres, dont un souffle étrange anime l’être,
Et dont les bras noueux sont par le lierre étreints !

Hélas ! il vous faut donc lutter comme nous-mêmes,
Vous qui paraissez tels que d’impassibles Dieux,
Et ce que nous prenons pour des chants glorieux
N’est que plaintes et cris de colère et blasphèmes !

Vous qui semblez créés pour rêver dans l’azur
Et pour teindre aux couchans vos frondaisons sublimes,
Géans prodigieux dont s’empourprent les cimes,
Vous subissez aussi notre esclavage obscur !

Et la faim, sous son joug inexorable, plie
Vos légions dont nul n’a révélé les mœurs,
Arrachant presque à vos triomphales clameurs
L’aveu d’on ne sait quelle ample mélancolie.


FORÊTS D’AUTOMNE


Je m’égare souvent dans l’innombrable foule
Des arbres, et, perdu sous leurs voûtes, songeur,
Comme au fond d’une mer marcherait un plongeur,
J’erre dans les forêts vermeilles que je foule.

Les émeraudes, les cornalines, les ors,
Qu’en triomphe la flore harmonieuse étale,
Forment un océan de splendeur végétale
Peuplé de purs joyaux et de rares trésors.