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surcroît de l’Allemagne qu’elle modérât ses dépenses navales, l’Angleterre lui aurait une reconnaissance encore plus grande, car le statu quo naval lui conviendrait fort ; mais peut-être l’Allemagne non plus ne voudrait-elle pas. Enfin, le troisième point du programme est le suivant : « Dès à présent, et le plus tôt possible, une liquidation s’impose, liquidation amiable de toutes les difficultés que la diplomatie, depuis vingt ans, use ses efforts à éluder et qui plusieurs fois ont été sur le point de faire éclater la guerre désastreuse pour l’un comme pour l’autre des deux pays. Il surgira bien assez de difficultés nouvelles dans l’avenir : débarrassons-nous des anciennes. » A cela nous répondrons par un passage de son discours de Londres, où M. d’Estournelles a dit : « Quant aux difficultés anciennes, beaucoup d’entre elles, cela va de soi, ne sauraient être soumises à l’arbitrage. » Alors, que propose-t-il ? Est-ce par des explications et des négociations directes avec le gouvernement anglais qu’il espère résoudre en trois mois toutes les questions pendantes depuis vingt ans, ces questions qu’il accuse très injustement la diplomatie d’avoir éludées et le gouvernement de n’avoir pas osé trancher, « par la seule crainte d’une opposition parlementaire » qui n’existerait plus après le banquet de Londres ? C’est, en vérité, attacher trop d’efficacité à ce banquet, et nous craindrions, pour notre compte, qu’en jetant en bloc sur le tapis vert des chancelleries tout le paquet des questions arriérées entre l’Angleterre et nous, on ne produisit un effet contraire à celui que poursuit M. d’Estournelles. L’atmosphère de sympathies qu’il a contribué à faire naître entre nous risquerait de se refroidir subitement, et c’est à quoi notre gouvernement fera bien de ne pas s’exposer sans avoir pris de minutieuses précautions.

Nous tenons autant que personne à nos bons rapports avec l’Angleterre. Ils sont aujourd’hui très améliorés. Cela tient à des causes dont quelques-unes nous sont étrangères, mais qui sont durables, par exemple à la manière nouvelle dont l’opinion anglaise envisage les développemens de la politique allemande. Les circonstances nous sont donc favorables ; il faut nous garder toutefois de les brusquer. Faisons un traité d’arbitrage ; il ne sera peut-être pas toujours inutile ; mais ne croyons pas que tout soit changé entre l’Angleterre et nous depuis les agapes parlementaires de Londres, ni qu’il suffise à M. le ministre des Affaires étrangères de prendre la baguette magique que lui tend M. d’Estournelles pour rassembler et résoudre tous les problèmes du passé. M. d’Estournelles, dans son discours, se défend d’être poète : il n’y a pas de mal à l’être un peu ; pourquoi s’en défend-il ?