Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas besoin d’être aussi sanglante qu’en de certains endroits elle le fut : la population protestante[1], surmenée par un demi-siècle de violences, éprouvait le même besoin de repos qui, partout dans le pays, criait merci ; et les qualités d’énergie et d’initiative, l’économie, les vertus familiales que la morale calviniste avait développées en elle, ne demandaient qu’à fructifier dans la paix. On le vit bien en 1632. « Ce fut en vain[2] que Montmorency eut recours à tous les artifices pour entraîner les protestans des Cévennes. » Il eut beau leur promettre la restitution de leurs places de sûreté, leur admission à toutes les charges de l’État. « Tandis que les évêques d’Uzès, de Saint-Pons, de Lodève, de Nîmes, d’Albi se joignaient à lui, les réformés de Montauban et de Privas soutenaient la Cour[3], » et le reste du Midi huguenot ne bougea pas.

Les catholiques étaient bien obligés de reconnaître[4] ce loyalisme éclatant et constant, et, sans aller jusqu’à l’optimisme dithyrambique de Balzac, affirmant, en 1631, que les protestans, « habitans des villes rasées, bénissent la foudre qui les avait frappés[5], » on sent bien qu’alors il y avait en vérité, comme il le dit, une sorte de concurrence entre catholiques et protestans dans l’affection pour « le Prince, » une rivalité d’empressement vers l’obéissance « quand même, » un acheminement parallèle vers la soumission entière, — je dis même dans les choses ecclésiastiques, — aux pieds du despotisme bienfaiteur qui à tous les Français, en échange d’un renoncement général à tous leurs droits, promettait repos et richesse.

En même temps s’amélioraient les sentimens des protestans à l’égard des catholiques vainqueurs. Qu’il n’y restât pas quelque amertume de la défaite, quelque dépit du changement des temps, quelque regret (là où les Réformés avaient pour eux le nombre) de la suprématie perdue, on nous le dit[6], et je le crois. Que les fervens du calvinisme renonçassent à plaisanter le « Dieu de

  1. Sur les dispositions du peuple protestant, « qui hait et déteste la guerre civile pour les maux qu’il en a reçus, » voirie mémoire de Philippe Codure à Richelieu (Bulletin du Protestantisme français, t. XXXI, p. 422, 428).
  2. Gaillet, ouvrage cité, t. I, p. 184.
  3. Franck Puaux, Histoire de la Réformation en France, t. V, p. 237.
  4. Nous le trouvons loué encore en 1646 dans un écrit dédié précisément à l’un des fondateurs de la Compagnie du Saint-Sacrement, l’archevêque d’Arles, François-Adhémar de Grignan : Essay de l’Histoire générale des Protestans, cité plus haut.
  5. Le Prince, ch. IV.
  6. Boulle, opuscule cité, p. 189 et suivantes.