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protestans a gain de cause. Aussi bien, cette discrétion du pouvoir est constatée sur l’heure par les protestans de bonne foi. « Nous roulons ici avec une liberté pleine, » écrit, en 1632, Philippe Vincent à André Rivet, » et les « jougs, » dont il se plaint, sont, en vérité, fort légers[1]. Cinquante ans plus tard, Elie Benoît, retrouvant la même impression dans les « mémoires » sur lesquels il travaille, reconnaît que la persécution, dans cette période, fut bornée à « des faits de peu d’éclat et qui ne pouvaient avoir beaucoup de suite. » Et ceux des historiens protestans modernes qui considèrent avec calme un passé qu’ils ne sont pas les seuls à regretter et à flétrir, avouent qu’il y eut, alors, pour le protestantisme français, une époque de repos et de répit : halcyonian days, dit l’un d’eux[2], où « des vexations incontestables, mais légères, ne troublèrent pas positivement l’état de paix, n’empêchèrent pas le développement économique de la population calviniste. »

Ainsi, dans les six ou sept années qui suivirent immédiatement la paix d’Alais, le pouvoir royal, exercé par Richelieu, nous apparaît en somme disposé à maltraiter aussi peu que possible, à ménager autant que possible ces réformés, que le peuple, en certains endroits, s’accoutumait à supporter, que tous les Parlemens ne haïssaient pas ; que le monde poli accueillait ; que le clergé lui-même oubliait ou négligeait de poursuivre ; et qui, du reste, très diminués et très assagis, méritaient ces égards par leur incapacité à nuire comme par leur loyalisme politique. Et l’impression d’ensemble que produit, à la distance où nous sommes, cette époque de 1629 à 1638 environ, est bien celle que le protestant Elie Benoît[3], peu enclin pourtant à l’optimisme, et le catholique Antoine Arnauld avaient tous deux reçue, personnellement ou par tradition, de cette courte époque du XVIIe siècle, — où, dit l’un, la nation « s’était fait une habitude de voir une division » de religion « dans le royaume ; » — où, dit l’autre, on apprenait, « par l’expérience, que la diversité de sentimens sur la religion n’était pas incompatible avec la paix civile et politique[4]. »

  1. Bulletin de la Société historique du Protestantisme français, t. V, p. 298.
  2. L’Américain Henry-M. Baird, The Huguenots and the Revocation, II, 359, 368.
  3. E. Benoît, né en 1640. Préface du 1. III de l’Histoire de l’Edit de Nantes (1690).
  4. Arnauld, né en 1612. Préface du t. 1 de la Perpétuité de la Foi catholique sur l’Eucharistie (1670).