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Par son fait, par l’infusion qu’elle eut l’art d’opérer peu à peu, patiemment, au gouvernement et au clergé, de son « irréconciliable fanatisme, » c’est elle qui a accompli, selon toute apparence, une besogne que, jusqu’ici, on avait cru pouvoir parfois attribuer à la Compagnie de Jésus ; c’est elle qui semble avoir assuré la perpétuité ininterrompue de la lutte religieuse, de façon qu’il n’y eût pas prescription en France contre l’hérétique, et que l’habitude de le combattre ne se perdît point. Ce qu’il est permis, dès à présent, de voir dans la Compagnie du Saint-Sacrement, c’est l’adversaire acharné de cet esprit de tolérance, qui commençait à percer, qui, semble-t-il, voulait vivre et pouvait croître, mais qu’il était alors bien aisé d’étouffer. Car, pour que la tolérance naisse et surtout pour qu’elle s’implante, en triomphant des objections d’un bon sens grossier et des répugnances que la brutalité instinctive des individus et des associations humaines lui oppose, il faut, soit dans le gouvernement, soit dans la nation, la rencontre et la collaboration prolongée de plus d’une idée, de plus d’un sentiment, de plus d’un intérêt. Ces rencontres, ces collaborations, l’historien sait qu’elles sont fortuites, rares et éphémères ; plus rares même, peut-être, que les éveils, dans les corps sociaux, des sentimens de pitié pour les souffrans et pour les pauvres. — Et c’est pourquoi il a le droit d’estimer que le mal fait par la Compagnie du Saint-Sacrement, en ressuscitant et fomentant la guerre religieuse, ne compense que trop le bien qu’elle a fait ou fait faire d’autre part, dans le domaine de l’assistance publique.

Cette intolérance, du reste, la Compagnie du Saint-Sacrement ne l’exerça pas seulement contre les réformés. Les jansénistes s’en ressentirent ; — et sa lutte contre eux, que nous aurons l’occasion d’étudier en racontant la fin de l’étrange et redoutable Compagnie, — jette un jour assez curieux sur les diversités de l’âme et de l’idée catholique au xviie siècle.

Alfred Rébelliau.