Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un habile maquillage rafraîchit extérieurement, ce Château-Laffitte, construit à Southampton en 1881, n’en a plus pour longtemps à « lover son câble, » comme disent pittoresquement les marins : son sort est fixé, paraît-il, et, s’il ne chavire pas en route, on le vendra au retour à quelque entrepreneur de démolitions. La Burgundia et le Château-Laffitte, qui sont des vapeurs d’un tonnage considérable, peuvent prendre de 1 200 à 1 500 passagers chacun. Quant à l’Hélène, qui appareillera la dernière et qui est un navire de tonnage moyen, elle n’emportera que 400 passagers. Le prix du voyage, à bord des trois steamers, est établi à raison de 85 francs par tête. Les patrons de pêche, après entente avec les armateurs, dont quelques-uns, du reste, qui prennent leurs quartiers d’hiver à Saint-Malo, feront la traversée comme passagers de première classe, arrêtent leur choix sur tel ou tel navire et préviennent leurs hommes d’avoir à se trouver au quai d’embarquement, pour « le jour des coffres, » et, le lendemain, à bord, pour l’appareillage.

Dans la vie en partie double du pêcheur moruyer, cet appareillage, nommé le Grand Départ, est à la fois un épilogue et un prologue. Epilogue de sa vie à terre ; prologue de sa vie au large. Une pièce va finir dont on ne saurait dire qu’elle était toujours bien divertissante, mais qui avait pourtant quelque bonne humeur, çà et là même sa grosse gaîté de cocagne ; une autre va commencer, plus grave, dont le dénouement s’enveloppe d’une ombre mystérieuse, et qui se déroulera loin de France, dans les limbes brumeux du Banc. Entre temps, les engagemens conclus, — soit dans les foires de l’intérieur, soit à domicile, soit à Saint-Malo même, sous le guichet de la Grand’Porte qu’encombrent les éventaires des marchands de cimereaux, de badioux et de craqrins et qui est comme un marché permanent de Terreneuvas, — ont eu lieu, de février à mars, au commissariat de l’Inscription maritime, les revues des équipages moruyers. Chaque équipage est introduit à tour de rôle dans le bureau du commissaire, où lecture lui est donnée des conditions de l’engagement. On fait ensuite l’appel des hommes : « Un tel ?

— Présent ! — Acceptez-vous les conditions de l’engagement ?

— J’accepte. » L’homme « pose son signe, » et le commissaire procède à la distribution des « avances. » Minute ineffable ! Des rouleaux éventrés, les louis s’échappent en cascade ; les mains se tendent, les yeux brillent. Patatras ! Du fond de la salle s’élève