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compte tellement qu’il la commande. Gouvion Saint-Cyr est prévenu qu’avant le 15 septembre, il peut recevoir l’ordre de marcher sur Naples, et, en huit jours, de s’en rendre maître, de désarmer les milices et de lever des troupes régulières qu’il fera entrer dans son armée. Marmont et l’armée de Hollande doivent s’apprêter à débarquer dans les vingt-quatre heures, au premier ordre qu’ils recevront, et à gagner Mayence. Cependant Bernadotte s’acheminera sur Gœttingue, « le tout dans un secret impénétrable. » « Si le cas arrive, je veux me trouver dans le cœur de l’Allemagne avec 300 000 hommes, sans qu’on s’en doute[1]. »

Ces ordres sont arrêtés le 23 août. Les lettres pour Marmont et pour Bernadette sont expédiées le jour même. Napoléon écrit à Dejean, adjoint au ministre de l’administration de la Guerre, à Paris, que les vivres soient prêts à Strasbourg et à Mayence pour le 20 septembre. Le 24 août, il donne à Berthier des instructions détaillées pour la formation des divisions et leur marche sur Strasbourg. Il écrit à Talleyrand : « Je fais descendre mon armée de Hanovre en Bavière. » Il croit tenir les Prussiens, il est résolu à courir les grands risques et à les laisser dévorer déjà leur proie, à leur abandonner le Hanovre qu’il leur offrait, à si haut prix, sauf, l’Autriche « pacifiée » sans eux ou malgré eux, à le leur reprendre et à les « pacifier » à leur tour.

Si le cas arrive, écrivait-il le 24 août ; le 25, il estime que le cas est arrivé. « Tous les renseignemens que je reçois par mes courriers me font prendre le parti de ne pas perdre un jour. Le moment décisif est arrivé, » mande-t-il à Berthier. Derrière le décor qui demeure immobile et la figuration qui se continue, tout le fond, tous les dessous du théâtre s’ébranlent et se retournent. Il écrit encore, le 25, à Talleyrand : « Mon parti est pris. Mon mouvement est commencé... Dès ce moment, je change de batteries ; il ne faut plus d’audace, il faut de la pusillanimité, afin que j’aie le temps de me préparer. Il s’agit de me gagner vingt jours et d’empêcher les Autrichiens de passer I’Inn pendant que je me porterai sur le Rhin. » Il connaît en partie, imparfaitement, les mouvemens de l’Autriche ; il s’en étonne, ignorant l’arrivée des Busses. « Je n’aurais pas cru les Autrichiens aussi décidés... Mais... ils ne s’attendent pas... avec

quelle rapidité, je ferai pirouetter mes 200 000 hommes. » Il

  1. A Talleyrand, au roi de Prusse, à Berthier, 23, 24 août ; instructions à Duroc 24 août ; ordres définitifs à Gouvion, 2 septembre.