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s’invite à venir tâter le mollet de la femme colosse, à contempler le « gaillard d’arrière » de la belle Fatma. — « Hé ! Jean-Louis, accoste un peu ici donc, pour voir. » Aguicheuses, quand le marin fait mine d’hésiter les foraines l’accrochent au passage, le poussent par les épaules dans la baraque ou lui glissent de force leur marchandise dans la main. L’homme, neuf fois sur dix, éclate de rire et se laisse faire. Pour des riens, pour des brimborions à quatre sous la grosse, on lui extorque des sommes extravagantes. La plupart de ces boutiques, pour la circonstance, sont des comptoirs de pièces fausses. Un marin, devant moi, examinait la monnaie qu’on venait de lui rendre : toutes les pièces étaient en plomb ou démonétisées. Celui-là n’était pas ivre et vit clair par hasard. Il refusa les pièces. Soyez tranquilles : elles furent écoulées dans la soirée à quelque autre, plus naïf ou dont l’alcool avait suffisamment troublé la vision.

Comment la police n’intervient-elle pas ? Le laisser-aller est vraiment trop grand, l’indifférence des pouvoirs publics trop olympienne. Mais, chez tous, boutiquiers de la ville, marchands d’articles de bazar, hôteliers, débitans, tenanciers de maisons louches, c’est une complicité générale pour rançonner ces pauvres gens. On les sait de si bonne composition, si peu regardans sur la qualité des jouissances, avides seulement de les épuiser toutes et d’un seul coup avant ces huit mois de claustration absolue entre le ciel et l’eau !… La nuit n’a pas une étoile ; il pleut toujours et, dans les petites venelles sinistres de Saint-Malo, avec leurs pavés pointus, leurs niches de madones à tous les carrefours, leurs vieilles maisons aux pignons de verre secoués d’une trépidation perpétuelle, c’est maintenant la galopade des « pelletas, » accordéons en tête, frénétique et vociférante comme au soir d’un assaut. Les magasins ont rabattu leurs contrevens ; la ville haute somnole. Toute vie s’est concentrée dans les auberges. Il y en a presque autant que de maisons. Derrière leurs vitres tendues d’andrinople, dont le reflet éclabousse la chaussée de flaques rouges, elles flambent brutalement sur deux files, et le contraste est saisissant de cette flambée écarlate avec la petite flamme blanche des veilleuses qui tremblotent mélancoliquement autour des madones compitales. Pour la circonstance, hôteliers et cabaretiers ont obtenu « la permission de la nuit, » faveur exceptionnelle qui ne s’accorde que deux ou trois fois l’an, à Noël et auxveilles des Grands Départs. Pour la circonstance aussi,