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Ses exigences n’avaient à coup sûr rien d’excessif. La publicité qui leur a été donnée en a fait, dès le premier jour, un véritable ultimatum, au(iuel la Porte aurait bien fait de céder aussitôt, puisqu’elle devait d’ailleurs finir par là. Elle aurait peut-être échappé, en y mettant plus d’empressement, à une manifestation navale qui lui a été fort désagréable. Le Messager du Gouvernement de Saint-Pétersbourg a publié les instructions que le comte Lamsdorff avait données à l’ambassadeur russe à Constantinople. Cette démarche montrait de la manière la plus significative qu’il était résolu à ne pas reculer d’une ligne et qu’il brûlait en quelque sorte ses vaisseaux. Il fallait donc que le Sultan s’exécutât, faute de quoi on était décidé à lui forcer la main. Il avait tout de suite exprimé des regrets, des condoléances, des excuses ; mais on ne pouvait pas se contenter, à Saint-Pétersbourg, de satisfactions aussi platoniques, et c’est ce que le comte Lamsdorff s’est empressé de faire savoir au comte Zinovieff. « J’ai montré, a-t-il dit, de l’indulgence lors du meurtre du colonel Tcherbina, parce que le meurtrier était un Albanais, dont la race se trouvait en état de rébellion contre le Sultan. L’attentat de Monastir a un tout autre caractère et demande le plus rigoureux avertissement. Le Tsar ordonne donc que vous repoussiez toute vague promesse au sujet des satisfactions suivantes : le châtiment extrême et immédiat du meurtrier du comte Rostkowsky ; l’arrestation et la punition exemplaire de l’individu qui a tiré sur la voiture du consul ; la production de pièces positives sur le bannissement réel du vali de Monastir ; la punition sévère de tous les fonctionnaires civils ou militaires responsables de ce meurtre. » On remarquera que, dès la première heure, le gouvernement russe n’hésitait pas à affirmer qu’il y avait d’autres responsabilités que celle du meurtrier. Ces responsabilités étaient peut-être indirectes, mais elles étaient réelles : elles venaient de la faiblesse, de l’incurie, de la complaisance secrète d’un assez grand nombre de fonctionnaires ottomans. Au reste, ce n’est pas sur tous ces points qu’il devait être le plus difficile à la Russie d’obtenir satisfaction. Deux hommes ont été immédiatement exécutés. Le vali de Monastir a été banni. Une vingtaine de fonctionnaires ont été destitués. En un mot, la Porte a fait, en ce qui concerne les personnes, tout ce qu’on lui demandait. Mais les exigences russes ne s’arrêtaient pas là : il y en avait qui portaient sur les choses. Elles avaient pour objet de prévenir le retour des incidens qui avaient produit à Saint-Pétersbourg, ou plutôt dans le monde entier, une si douloureuse émotion.

Nous avons exposé, à la suite des effervescences révolutionnaires