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hérisser de barrières, bastions et contreforts capables de soutenir la puissance française ainsi formidablement étendue ?

Talleyrand en méditait, dans le même temps, à Strasbourg, où Joséphine tenait sa cour. Jugeant les routes trop peu sûres pour s’y hasarder sans nécessité, il dressa un plan de politique qu’il envoya, le 17 octobre, à l’empereur. Il ne se pique point de constructions systématiques, encore moins de définitives. Il ne considère que le possible, dans les conjonctures présentes ; il ne cherche que des tempéramens. « Je voudrais, écrivait-il à d’Hauterive, que l’empereur, le lendemain d’une grande victoire, dit au prince Charles : « — Vous voilà aux abois ! Je ne veux pas abuser de mes victoires... Je ferai avec vous un traité offensif et défensif, et toute idée d’alliance avec la Prusse ira au diable. » « Une idée d’alliance avec la Prusse est aujourd’hui impossible, dit-il dans son mémoire à l’empereur... Qu’elle reste donc dans sa petitesse, puisqu’elle n’a pas voulu profiter de l’occasion qui lui était offerte de s’élever à la grandeur ! » La solution qu’il propose au « problème de la paix, » comme « la plus durable que la raison puisse permettre d’espérer, » repose sur cette triple combinaison : Séparer l’Autriche de l’Angleterre, opposer l’Autriche à la Russie, réconcilier l’Autriche avec la France, en lui attribuant la Valachie, la Moldavie, la Bessarabie, une partie de la Bulgarie, le Danube, une partie des côtes de la Mer-Noire, en échange de la Vénétie, de la Souabe et du Tyrol, transformés en Etats tampons. De la sorte, l’objet est atteint : l’Autriche n’a plus de contact ni de rivalité avec la France, en Italie ni en Allemagne ; elle rivalise d’influence avec la Russie et lui barre le chemin de Constantinople. « Les Turcs ne sont plus à craindre ; les Russes les ont remplacés ; l’Autriche est encore le principal boulevard que l’Europe ait à leur opposer... Les Russes, comprimés dans leurs déserts, porteront leur inquiétude et leurs efforts vers le midi de l’Asie, où le cours des événemens les mettra en présence et en opposition avec les Anglais, aujourd’hui leurs alliés. »

Ces propositions ne s’accordaient guère avec celles de l’empereur, qui ne considérait et ne consultait que les nécessités de la guerre. Or, les Russes, en ce temps-là, tournaient le dos à l’Asie. Ils avançaient vers l’Europe par la grande route des invasions asiatiques, le Danube, se poussant vers les Alpes et le Rhin, dont Souvorof avait reconnu les avenues. Napoléon comptait