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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/324

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de le redire, n’est qu’une « Introduction » à la Critique de la Raison Pratique. Spinoza, dans sa chambre solitaire de la Haye, n’avait pas, en élevant le monument de son Éthique, d’autre intention que Pascal, quand il accumulait, dans sa cellule de Port-Royal, entre deux crises de souffrances, les matériaux de ses Pensées. Il s’agissait pour eux de « morale, » et de rien autre chose, ni surtout de plus important. Pareillement Auguste Comte, non seulement dans son Système de Politique, mais déjà dans son Cours de Philosophie Positive ; et c’est pourquoi ceux-là ne l’ont ni compris, ni continue, comme ils le croient, mais véritablement mutilé, dénaturé, et trahi, qui ne voient pas d’abord en lui le « sociologue. »

Je voudrais montrer aujourd’hui l’étroite liaison de la sociologie d’Auguste Comte avec sa religion et sa métaphysique, leur « solidarité, » pour mieux dire ; et ainsi faire voir après lui que « les questions sociales sont des questions morales, » et « les questions morales des questions religieuses. » C’est aussi bien ce que l’on commence à soupçonner de toutes parts, excepté dans la secte où Auguste Comte savait bien qu’il rencontrerait ses pires adversaires. « Loin de compter sur l’appui des athées actuels, écrivait-il en 1856, dans son Discours préliminaire sur l’ensemble du Positivisme, le positivisme, — il ne disait pas : « ma religion » ni ma philosophie, mais le positivisme, — ne doit trouver en eux que des adversaires naturels. » Et, en effet, il les y a trouvés. Mais, en dehors d’eux, et d’une manière générale, je ne rencontre presque partout, dans le monde où l’on pense, qu’affirmation de cette solidarité des questions morales avec les questions sociales, et des questions morales avec les questions religieuses. La Question sociale est une question morale : tel est le titre qu’il y a dix ou douze ans, un professeur allemand, M. Th. Ziegler, de l’Université de Strasbourg, donnait à un livre qu’ici même nous avons eu bien des fois l’occasion de citer. Quelques années plus tard, un publiciste anglais, M. Benjamin Kidd, — que nos philosophes affectent volontiers d’ignorer, ce qui est toujours facile, — s’efforçait d’établir, dans son Évolution sociale, que « les croyances religieuses sont l’élément caractéristique de l’évolution sociale, » ou même, comme il disait encore, « le pivot de l’histoire humaine. » Un pasteur américain, M. Georges Herron, dont j’ai plusieurs fois signalé les éloquens discours sur le Christianisme social, ne se lasse pas