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de 1860, une moitié de l’humanité, — a cru que la stabilité sociale, condition de l’ordre et du progrès, était solidaire du maintien de l’esclavage ; le moyen âge, lui, l’a crue solidaire du servage ; et beaucoup de fort honnêtes gens la croient aujourd’hui solidaire de l’existence du prolétariat. Que devons-nous penser de ces opinions ou de ces croyances successives ? Ce sont toutes ces questions qu’enveloppe la « question sociale » ou, si l’on le veut, entre lesquelles elle se divise et se ramifie. Mais le problème essentiel, ou plutôt le problème unique est bien celui de l’« inégalité des conditions. » Il est la question dont on ne peut dire « qu’elle n’existe pas, » sans faire preuve d’autant d’inhumanité que d’inintelligence, et d’ignorance que de vulgaire égoïsme. C’est de ce problème que l’on dit qu’il est avant tout « une question morale ; » et il s’agit de préciser, quand on le dit, ce que l’on veut dire.

Voici, à cet égard, un curieux passage d’Auguste Comte : « Le communisme, écrivait-il dans son Système de Politique, — et disons aujourd’hui, si l’on veut, le « socialisme » ou le « collectivisme, » — n’est point un produit accessoire d’une situation exceptionnelle. Il y faut voir le progrès spontané, plutôt affectif que rationnel, du véritable esprit révolutionnaire, tendant aujourd’hui à se préoccuper surtout des questions morales, en rejetant au second plan les questions économiques proprement dites. Sans doute la solution actuelle — 1856 — des communistes reste encore essentiellement politique, puisque c’est aussi par le mode de possession qu’ils prétendent en régler l’exercice. Mais la question qu’ils ont enfin posée exige tellement une solution morale, sa solution politique serait à la fois si insuffisante et si subversive, qu’elle ne peut rester à l’ordre du jour sans faire bientôt prévaloir l’issue décisive que le positivisme vient ouvrir à ce besoin fondamental, en présidant à la régénération finale des opinions et des mœurs. » [Système, I, 152.] C’est justement ce que l’on veut dire quand on dit que « la question sociale est une question morale. « Et on le verra mieux encore, si nous opposons, à ce passage d’Auguste Comte, quelques mots de ce Condorcet dont il ne s’est pas caché de s’être inspiré, mais dont on se tromperait étrangement de le considérer comme le continuateur « Si, dans aucun pays, il n’y a eu jusqu’ici de bonnes mœurs, écrivait en 1779 le marquis déjà radical, c’est que nulle part il n’y a eu encore de bonnes lois. Pour détruire les mauvaises mœurs, il en faut ôter la cause. Et quelle est-elle ? Il n’y en a